Vivre sans bloguer.

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René Char écrivait : «Comment vivre sans inconnu devant soi ?» Après plus de 1100 billets derrière moi, le temps de cette Question m’est revenu. La naissance impromptue de ce blog (dont l’armature me fut offerte) marqua le début d’une belle Aventure (elle dure depuis plus de 4 années). J’envisage désormais un ralentissement de mise en ligne de mes billets voire une pause indéterminée. Le temps de cette décélération sera post-électoral. Devant soi, reste toujours l’inconnu d’une Vie mais… d’une Vie qui s’éloignera donc de la tenue quasi-quotidienne de mon Blog. Explications (en vrac).

L’écriture du Blog m’a privé de mes lectures livresques.
Je voudrais retrouver le Temps d’antan où je lisais sans tarder les livres que j’achetais. L’autre lecture, celle des quotidiens, des hebdos m’est devenue de plus en plus insupportable. Dégoût de ce papier et de cette encre, dégoût du contenu, des travaux des Experts (libéraux), des parlottes du Petit Monde médiatique. Dégoût de la Presse aux ordres. Dégoût extrême du JDD, du Figaro, du Point, de Libé, de Challenges, de Valeurs Actuelles
Depuis 2008/09, le temps passé à la rédaction de mes billets m’a empêché de lire beaucoup de livres que j’avais achetés. J’ai certes – comme tout un chacun – plusieurs vies mais même plusieurs vies ne peuvent suffire. Le choix contraint est là : lecture des livres ou écriture de billets ? Et au-dessus, le temps qui passe. Putain de questions.

Le Livre en religion.

Le Livre – et le crayon en main – sont mes outils indispensables. Je garderai toujours ma phrase-fétiche : «La Maladie de la Lecture m’a rendu la Santé resplendissante». La lecture m’est une obligation moins pour m’évader, me cultiver et parader que pour me donner des armes dans la vie. Ce ne sont en effet pas les lectures qui sont importantes, c’est ce qu’on fait de leurs brûlures. Récemment, Télérama avait mis ce titre sur sa Une : «Les Enfants, ça se cultive!»… Titre ambigu lorsqu’on sait (depuis la Seconde Guerre Mondiale) que la Culture (livresque) – même à haut degré – ne préserve de rien (et pas du pire). Les brillants intellectuels allemands de la plus grande ville universitaire allemande (Weimar) dormaient à poings fermés à côté du Camp de Buchenwald. Sur ma conception de la lecture et du lecteur voir Lecteurs d’Elitemon vieux billet.

Je n’aime pas lire sur écran.

Au début, j’imprimais les articles du Net qui m’intéressaient mais il y a eu profusion. Les feuilles imprimées se sont amoncelées. Tas de feuillets non lus, rangés dans un placard. L’intérêt du départ à les lire s’envolait. Ne restait que la désolation à laisser passer, à laisser faire. Et des tonnes de papier qui bouffaient mon espace.

Je n’aime pas aussi cette politique du Lien.
La Politique du lien est essentielle  pour amplifier son lectorat. Je l’ai toujours assimilée (à tort ?) à de l’autopromotion mal placée, à de la vanité, à de l’insupportable suffisance. Lorsque j’ai tenté quelques Opérations de ce type, cela m’a fait dépenser une énergie de Trader. Le renouvellement de ma force de travail à ce travail me mettait à l’agonie. Et je n’ai pas envie de mourir. J’ai donc arrêté de me casser la tête avec cette politique du lien : je citerai qui bon me semble, je rajouterai qui bon me semble sur ma blogroll – en lisant les blogs au hasard (objectif). Pas plus, pas moins.

Aucune mouvance.
Dans le Paysage des Blogs où on aime bien les Collectifs (ou Congrégations), je ne me suis inscrit dans aucun. Aucune mouvance sauf à me sentir très proche des Mélenchonnistes, de ceux qui savent calculer, démolir pierre par pierre, siphonner les réservoirs et penser leur Rage.

J’ai rencontré des bloggeurs, des bloggeuses dans la Vie réelle. Passées les cinq minutes de parlotte sur nos blogs respectifs, la conversation déviait heureusement sur les Choses essentielles de la Vie, de la Vie hors blogs. Moralité : La Vie est toujours plus large, plus intense que celle consignée dans nos Blogs (mien y compris).

En fait, c’est l’écriture qui me hante. Pas celle des billets de Blogs. Pour ce désir-là, ça s’émousse, la Source se tarit, la Pulsion de l’écrit s’atténue. Dernièrement, pour une première fois, je me suis senti non seulement contraint d’écrire le 1150 ième bibillet (ces contraintes ne sont pas forcément négatives) mais contraint de l’écrire sans combat intérieur, avec ce désir de justifier «ma réputation», «ma petite gloriole», ma place sur E-buzzing. J’ai pris peur : je me voyais devenir un Faussaire doublé d’un vieux con.

Le soir du résultat du second Tour est date charnière.
Si nous repartons pour un Sarkozy 2, mes forces se déplaceront ailleurs. Pas question de me laisser intimider mais la rage d’écrire dans mon blog, la volonté d’éclairer, le désir de chercher, la joie de démolir dans les détails les Grandes Opérations de Manipulation dans mon blog : basta ! Non merci. Il n’y aura pas – en parallèle – de second Quinquennat-BiBi.
Si, au soir du 6 mai, nous ouvrons la page de «Gauche», (presque) chacun sait ce qu’il adviendra : une ère-Hollande ponctuée de mesures draconiennes et jospinesques de récession – même si le climat et le combat politiques gagneront en sérénité et en ouvertures. Je rajoute pour ceux qui grogneront à cette analyse rapide : pour bibi, Sarkozy n’est en effet pas tout à fait = à Hollande.

Qui sont mes lecteurs ?

Je n’ai évidemment aucune statistique pour savoir qui sont mes lecteurs/trices. Il y a fort à parier que sur les 270 par jour (en moyenne) je ne sois lu que par des convaincus, lecteurs réguliers de blogs. Du coup, à tort ou à raison, je peux juste en déduire (socio)logiquement que la Rencontre n’a lieu principalement qu’avec des personnes qui savent… lire, qui savent… lire le français, qui ont l’habitude de lire sur le Net, qui choisissent de préférence le Blog au lieu des Médias-Mastodontes en Point.fr, lecteurs/trices qui sortent des circuits traditionnels du Net pour enfin… atterrir chez moi. Ces lecteurs en général m’approuvent, me donnent déjà raison (avant même de me lire) : ce sont mes fidèles, mes Revenants. Et je les aime.

Depuis janvier, j’ai voulu faire la comparaison sur 3 périodes :
Janvier – avril 2010 : 32792 visites (soit 8200 par mois, 273 par jour).
Janvier – avril 2011 : 44070 visites (soit 11000 par mois, 370 par jour).
Janvier- avril 2012 : 28215 visites (soit 7050 par mois, 235 par jour).
Donc voilà un effritement de mon lectorat, une perte sensible depuis un an… mais nulle tristesse, nul désespoir. Être lu par 235 internautes par jour continue toujours d’être un miracle.

Le devenir de mon Blog.
Gauche de Combat posait une question sur le devenir des Blogs après le résultat des élections. Et j’y avais ainsi répondu :
«Il y a la généralité de la lutte – indispensable (Vivre, c’est prendre position pour démolir et construire) et il y a l’effet de lutte qui traverse chaque individu, sa chair, ses pensées singulières (blogueurs y compris). Pour moi, il se trouve que bloguer c’est se bagarrer contre les représentations dominantes qui nous assujettissent au Réel étouffant. Via un blog et ses 1200 billets en 4 ans, via mes choix professionnels et politiques, je peux (j’ai pu) respirer. Mais la passion de bloguer s’est transformée petit à petit – non en piteux désespoir et ressentiment mais dans un déplacement de forces en vue de projets hors-courant bloguesque».

Pour aller où ?
Je resterais dans l’écriture (mon FaceBook « Pensez BiBi » continuera) mais pas forcément dans celle de mon blog. Une pulsion d’écriture romanesque recommence à me tarauder. Me viennent d’autres désirs : rallier des Associations citoyennes, placer mes temps vitaux dans des activités plus diversifiées.
La fréquence de la mise en ligne de mes futurs billets ne se résumera donc plus qu’à deux ou trois ou quatre fois par mois. Pas vraiment plus. Le temps de l’ouverture de ce blog fut une aventure non écrite. Le temps de le mettre quelque peu en jachère, d’aller voir ailleurs en est une autre, aventure non écrite aussi.

Voilà c’est dit. C’est écrit.

10 Responses to Vivre sans bloguer.

  1. Laetsgo dit :

    Je respecte totalement ton choix, mais je regrette par avance de ne bientôt plus te lire….bah, nous, tes lecteurs, pourrons toujours te relire….bonne continuation et bonnes lectures Bibi !

  2. Marco dit :

    Ce serait vraiment dommage de tout arrêter. Lire ailleurs ce qu’on ressent soi-même a un coté rassurant : on est pas seul dans ce monde individualiste, avec ce culte permanent du secret et de la compétition.
    D’un autre coté, je comprends. Je me suis posé exacteement les mêmes questions, et je vais vraisemblablement ralentir un peu moi-aussi… quelque soit le résultat le 6 mai.
    Mais pas tout arrêter.

  3. Nouvel Hermes dit :

    Voici à peu près ce que j’aurais pu écrire avnt de quitter mon propre blog sur la pointe des pieds…
    Mais quand on s’est attaché à ce rythme d’écriture, même devenu aliénant par la force de l’habitude et l’obligation de répétér, encore répéter, il n’est pas si facile de rompre les amares…
    Et passer dans le « roman » c’est aussi s’engouffrer dans le couloir d’une grande solitude.
    En tout cas j’ai toujours du plaisir à te lire. Bon vent!

  4. Rodrigue dit :

    Bibi, il est important d’exercer sa liberté, et je suis sûr que ça sera pour « de vrai »! Merci de m’avoir permis si souvent de réagir. Bon courage et bonne chance dans de nouvelles créations!

  5. Celeste dit :

    Salut Bibi!

    Même ressenti et tellement bien exprimé, merci!
    J’ai adoré écrire sur mon blog, pendant des années, en toute liberté.
    Puis le désir s’est émoussé.
    J’écris encore de temps en temps et c’est bien comme ça.

    Cette aventure m’a apporté de belles rencontres 😉 des découvertes, des émotions…
    Je suis désormais dans une phase action politico-associative et contemplation (si si ça peut aller ensemble;-).
    J’ai choisi de toujours voir la beauté, ça tombe bien, elle est partout pour qui sait la voir!
    Baci

  6. Allons l’ami, je comprends un peu ce qui t’arrive, le blog est chronophage.

    Ralentir la cadence et fuir toute cette presse (quel sacerdoce !) pour gagner du temps de vraie lecture et peut-être quelques sous dont n’ont pas besoin les groupes qui la contrôlent.

    Et puis, pourquoi ne pas chroniquer d’autres lectures plus substantielles ?

  7. Adrien dit :

    Hello. Je suis triste de lire ces quelques lignes mais en même temps, je suis tellement content pour toi. J’écris ce message en écoutant high hopes de pink floyd… J’ai espoir que tu retrouves l’espoir… Et l’écriture. Love you bib’

  8. Ju dit :

    Oh… en voilà un autre qui s’en va…
    C’est triste.
    Souvenir de quelques échanges de mails sur la Syrie… Il y a bien longtemps maintenant, et tout cela au détour de billets de blogs.
    Longe vie à la bibi-écriture, alors, au plaisir de te lire ailleurs ou autrement que devant un ordinateur,
    je t’embrasse…

  9. Marion dit :

    Je viens de découvrir ce blog, et cette très belle écriture. Lire que ça se termine quand on arrive est déroutant, mais tout à fait compréhensible après la lecture de cet article. Je vous souhaite une bonne continuation, quant à moi, j’ai pas mal d’autres articles à découvrir sur ce blog. Arriver à la fin me laisse au moins de la lecture.

  10. BiBi dit :

    @Marion
    Je veux juste souffler et m’éclipser provisoirement. Le Désir d’écrire sur le blog reviendra peut-être aussi fort ( qui sait ce que la Vie réserve ?). Mais une certaine lassitude est là – pas forcément la lassitude d’écrire car je me remets à l’écriture intime. Donc, ce n’est pas tout à fait la fin puisque – comme indiqué – je serai là trois ou quatre fois (pas vraiment plus) par mois. Par ailleurs, j’ai mon compte FaceBook où je divague parfois (Compte : PensezBiBi) 🙂
    En tous les cas, merci pour vos appréciations et bonne lecture ( via mes Catégories) 🙂

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