Ces images qui nous regardent.


Dans un entretien avec Jean-Louis Comolli, André S. Labarthe parle du premier film des Frères Lumière et analyse pourquoi ils en ont aussitôt fait un remake. Propos lumineux. Lumière matinale de ce jeudi.

«Examinons une fois de plus le rapport documentaire/fiction. Le cinéma est né documentaire, tout le monde s’accorde là-dessus. Pourtant regardons les 45 secondes du premier film, tourné par les frères Lumière. La fameuse Sortie des Usines Lumière à Lyon.

La caméra est installée face à la porte monumentale. Le film commence à l’instant où la porte s’ouvre. Les ouvriers et ouvrières sortent, la porte se referme, enfin presque. Car la bande se termine avant que la porte se soit complètement refermée. Quelques mois plus tard, les frères Lumière retournent le film. Cette fois, en effet, lorsque les ouvriers sont sortis, la porte a le temps de se refermer complètement avant la fin de la bande, c’est-à-dire en 42 ou 45 secondes. Que s’est-il passé ? Et pourquoi ce remake – le premier remake de l’histoire du cinéma – dès le premier film?

J’analyse les choses de la manière suivante :
Dans ce second film, la caméra est placée au même endroit que lors du premier film. Ce qui signifie que les frères Lumière étaient satisfaits de l’angle de prise de vue. Ils considéraient qu’ils avaient maîtrisé l’espace. La différence entre les deux versions de ce même plan-film, c’est que dans le second, la porte a le temps de se refermer. Il est logique de penser que les frères Lumière avaient estimé que dans le premier film, ils n’avaient pas maîtrisé le temps. Et en effet dans ce second film, espace et temps sont parfaitement maîtrisés. Comment ? Pourquoi ? Pourquoi, dans le second film, ouvriers et ouvrières ont-ils le temps de sortir de l’usine pour que la porte ait le temps de se refermer ?

Sans doute parce qu’ils sont sortis plus rapidement. Mais pourquoi ? Sans doute parce qu’on leur a dit. Ici, il faut imaginer les frères Lumière expliquer à leurs ouvriers qu’ils ont quarante secondes pour quitter l’usine. Je vois dans cette intervention le germe de tout le cinéma à venir. Les frères Lumière ont dirigé une figuration. Direction d’acteurs, maîtrise calculée de l’espace et du temps : dès le premier film, le cinéma a eu besoin de la fiction« .

Autre entretien d’André S. Labarthe chez Kinok.com.

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