MA JOURNÉE DE LA MÉCHANCETÉ.

R Bert

Pulsions irrépressibles. Montent la colère puis la rage de tout détruire. Elle dure, dure, dure cette rage et voilà que, soudain, on cherche sur qui, sur quoi se défouler. On ne se reconnaît plus. Aucun argument ne peut tenir contre cette colère froide et ce sang chaud. Pour tout dire, ce jour-là, ce fut ma Journée de la Méchanceté.

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Dernière séance

Il y a fort longtemps, enfant, je traversais en voiture toute l’Espagne à partir de Tanger/Algéciras jusqu’aux frontières françaises (Port-Bou ou Hendaye). Durant ces voyages qui duraient trois jours et trois nuits (les routes espagnoles de Franco étaient renommées pour leur vétusté), mon père me racontait des histoires. Celles de Mille et Une nuits. Celle, chaque soir, d’Aladin et sa lampe merveilleuse. Le final au bout du suspense mettait trois jours à se dénouer. Quelle joie ! Quel bonheur !

Bonheur ai-je cru en emmenant quelques enfants à aller voir le film «Les Nouvelles Aventures d’Aladin» avec le chouchou de nos adolescents boutonneux : Kev Adams. Je ne raconterais pas le film mais en sortant, je hurlais sur le parking : «On m’a assassiné ! On m’a assassiné !». Devenu fou furieux, je pris à témoin la foule soudainement apeurée. Un film de plus ? Non, une honte. Une obscénité inégalée. Une insulte aux Mille et Une Nuits. Une insulte au Cinéma. Une insulte à l’Enfance. Je me suis quand-même calmé avant que n’arrivent les blouses blanches des infirmiers et leur voiture à girophare.

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Au bout du fusil

Mais cette journée n’était pas finie.

Profitant de la fin d’après-midi, je suis allé faire un vide-grenier et j’ai eu la chance de trouver plusieurs DVD dont un film de Francesco Rosi («Lucky Luciano»). Mais c’est Les Infidèles, le film qui eut un grand succès il y a quelque temps que j’allais visionner en soirée. Les Infidèles, film à sketches de sept réalisateurs, avec  Jean Dujardin  et Gilles Lellouche. Un sommet de la bêtise ? Oui sans aucun doute. Un navet pour ne pas dire plus ? Hélas, il faut en dire plus. Puis à la réflexion, non, il n’y qu’un seul geste à faire. Un seul : tu décroches le DVD de ton magnétoscope, le reprend, le fourre dans sa boîte puis tu choisis direct la Grande Poubelle Jaune du square de ton quartier. Et sur le retour, tu te prends de haine (injustement ?) pour tout, pour tout le cinéma français. Rendez-vous compte : ces Infidèles m’ont volé plus d’une heure quarante de ma vie.

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A quoi s’occupent les grands Intellectuels français ?

Voilà comment s’est posée à moi cette question mal posée. Mal posée car le champ intellectuel regorge, comme tout champ, de scories persistantes et d’avancées positives incontournables. Souvent, pourtant, on se voit submergé par cette alliance insistante de la Cuistrerie et de la Mondanité, de la Thèse et de la Foutaise. Ainsi les modes de pensée du Figaro et de Challenges, les visuels BFM/Itélé, les expertises de Lenglet sont identifiées comme toujours à haute valeur théorique. Pour les autres modes, absents des postes de police (heureusement), des postes de radio (malheureusement), c’est ringardise and Co.

Di-Caprio

Restons encore sur la Mondanité.

On pourrait croire qu’avec «Marianne» (site, hebdo), on est quelque peu au-dessus du lot. Jusqu’à ce qu’on découvre avec stupeur cet encart publicitaire sur une croisière sur le Danube. Le beau Danube bleu où viennent pérorer, danser (baiser probablement mais chuuuttt) de très hautes pointures de l’Establishment intellectuel français. Citons les invités sur cette croisière : Alain Finkielkraut, Joseph Macé-Scaron, Jacques Généreux, Benjamin Stora. C’est le petit matin. On vogue allègrement aux frontières de la Slovaquie et de la Hongrie. Sur le chemin de halage, on voit une procession probablement religieuse. Devant cette colonne, on voit des uniformes sur des chevaux élégants. Puis une partie de l’épais brouillard se lève. Nos intellectuels, accoudés au bastingage, découvrent que ces sont des migrants qu’on encadre pour aller les parquer je-ne-sais-où. Et chacun de nos journaleux essayistes de se dire que «Chic, chic ! Voilà du grain à moudre pour nos futurs articles sur ce grand problème des migrations contemporaines». Et cet autre de rajouter : «Rien ne vaut que d’être sur le terrain».

Et BiBi de se prendre à rêver, d’être lui aussi sur le même terrain : je passe derrière chacun de ces pauvres galériens et hop hop hop hop hop, un par un, hop, hop, tous par-dessus bord.

9 Responses to MA JOURNÉE DE LA MÉCHANCETÉ.

  1. lediazec dit :

    J’ai du bol ! J’ai échappé à ces naufrages ! Et, avec ton concours, gracieux, je suis tout à fait vacciné !
    Merci.

  2. C’est donc vous, cher Bibi, le dernier lecteur de Marianne ?… Pour ce qui est du cinéma français, de Dujardin et cie, de ces comédies, une idéologie à vomir… Vous êtes courageux d’avoir tenu 1h40…

  3. Un partageux dit :

    Les infidèles. Bien fait pour toi ! Partageuse dit que certains se trompent et mettent au vide-grenier ce qu’ils devraient mettre dans la poubelle. Alors faut quand même vérifier, mon garçon…

  4. michelle brun dit :

    Tu vois bibi tu es un peu comme moi , en toi il y a toujours de l’espoir , alors tu te jettes dans les salles de ciné parce que les enfants que tu accompagnes adorent ce nouveau bourrin qui se nomme Kev Adams (qui est né le même jour et la même année que mon Valentin, comme quoi l’astrologie :-() Bon jusque là tu es pardonné , tu ne vas pas les accompagner pour voir un film avec Bette Midler non plus 🙂
    En ce qui concerne Jean Dujardin j’ai un peu d’avance sur toi (jamais pu supporter ce Garçon de café ) …..
    Amitiés
    Michelle

  5. BiBi dit :

    @MichelleBrun

    Un de ces jours on ira au cinoche ensemble. Je t’inviterais à aller voir un film d’Abbas Kiarostami 🙂

    Quant à Dujardin, man dieu ! (patois toulousain).

  6. BiBi dit :

    @NosConsolations.
    Courageux et héroïque !

  7. Cher Bibi, pour approfondir le débat à propos d’intellectuels et de mondanité : http://www.monde-diplomatique.fr/2015/11/RIMBERT/54152

    Bien à vous,

  8. BiBi dit :

    @NosConsolations
    Merci pour l’article de Pierre Rimbert ( dont j’avais lu l’excellente analyse sur le canard-laquais qu’est devenu Libération).
    Sur les intellectuels, je signalerais encore un article ou deux de Bourdieu dans son recueil « Questions de Sociologie » (Aux Editions de Minuit)
    Enfin je peux aussi renvoyer mes lecteurs et lectrices sur mon blog ici

    http://bit.ly/1b7ybQd
    http://bit.ly/1mUyDmN
    http://bit.ly/1hUOATm
    et aussi : http://bit.ly/1bioJIN

    Bonne lecture ! 🙂

  9. AgatheNRV dit :

    Il faut être très méchant en effet pour infliger ça à des enfants (rien que la mention Kev machin dissuade) 😉

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