UN APRES-MIDI AVEC ARTHUR SCHNITZLER.

schnitzler

En ce samedi – jour de visite matinale à la «librairie» du Secours Populaire – je me chargeais d’un petit volume de plus à lire : les aphorismes d’Arthur Schnitzler («Relations et Solitudes») édité en 1988 chez Rivages. Un condensé de petites phrases et de longs développements qui n’ont pas pu me laisser indifférent lorsque je les mis en rapport avec ma propre vie.

Je n’avais aucun souvenir de lecture d’Arthur Schniztler hormis ce livre de poche lu il y a très longtemps («La Ronde»). Je savais vaguement que l’écrivain avait été un ami de Freud, ami que l’Explorateur de l’Inconscient tint curieusement à distance. Fait rare, Freud écrivit : «Je vous ai évité par une sorte de crainte de rencontrer mon double» (Lettre du 14 mai 1922).

Avec le livre d’Edmundo Gomez Mango et de JB Pontalis («Freud avec les écrivains»),j’appris en outre que l’écrivain, officiant comme médecin à Vienne, fut un grand «consommateur» de femmes, qu’il eut une vie quelque peu dissolue, une vie à distance céleste des jours et des nuits de Freud accroché, lui, à son Cabinet viennois. Vis-à-vis de la psychanalyse, Schnitzler avait été ambivalent : admiratif de l’œuvre et des travaux freudiens («Ce n’est pas la psychanalyse qui est nouvelle, mais Freud. De même que ce n’est pas l’Amérique qui était nouvelle mais Christophe Colomb») mais, en même temps, très remonté contre la Corporation de ces nouveaux Psy.

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Schnitzler

Il m’est arrivé parfois d’être complimenté pour mon humour. Mais à entendre ces propos laudatifs, me voilà en retrait, avec cette crainte un peu conne du malentendu : j’ai peur que les gens n’aient pas saisi, qu’ils aient une interprétation erronée. Et je me garde – pudeur oblige – de leur répliquer avec ce murmure de Schnitzler :

«On devrait se garder de prendre les plaisanteries à l’envers ou même seulement de les prolonger par la pensée. On ne se doute pas à quel point elles deviennent tristes».

Par contre j’aime qu’on prenne mes paroles pour choses graves, pour choses sérieuses mais le ton de ma voix, souvent empreint de légèreté, me dessert et provoque souvent de trop nombreuses méprises. Ainsi va la vie mais en cet instant-là de cet après-midi, l’aphorisme de Schnitzler tomba à pic :

«Etre sérieux et ne pas avoir d’humour, voilà deux choses différentes».

J’ai rencontré plus tard un poète connu et lui présentais mes jolis travaux, poésies où il était question de fleurs et de femmes, de beauté, de jardins publics et de jardins secrets. Me revins alors – trop tard – le parfum vénéneux de cette fleur de Schnitzler : «Y a-t-il une oreille assez fine pour entendre le soupir des roses qui se fanent» ?

Plus tard encore en cet après-midi, je me suis réfugié dans une de mes coutumières marinades, de ce temps court où l’on se jette sur le lit en ne pensant à rien, mais non, non, dans cet instant si court, non, non, on pense encore, on n’en finit pas de penser et aussi de se mentir à soi-même pour faire l’intéressant. Là encore, Schnitzler, impitoyable, susurra dans mon dos :

Un première fois : «Même dans les impressions désagréables il y a de la jouissance».

Une seconde fois, rappelant ma coquetterie : «Se laisser percer à jour – voilà qui est loin d’être toujours dans l’indifférence ou un manque de prudence. C’est souvent une attitude élégante et peut-être même la manière la plus raffinée d’induire les gens en erreur».

La Ronde

Pour me donner le change, je mis la radio, j’ouvris les journaux ou m’abrutissais à la télé. Je m’engluais, je ne sortais pas faire un tour. Schnitzler me revenait à nouveau : «Ce qui rend la vie si pénible et si désespérante, ce n’est pas l’existence de l’absurdité et du mensonge sous toutes leurs formes et à tous les degrés ; – non, le pire c’est d’être sans cesse contraints et parfois même enclins à nous coltiner avec cet absurde, comme s’il était porteur de sens – et à pactiser avec le mensonge, comme s’il était de bonne foi, voire la vérité même».

Je me souvenais aussi des émissions de ce pauvre Jacques Chancel et de sa fameuse apostrophe finale («Et Dieu dans tout ça ?»). Alors je pris résolument (enfin !) mon vélo en me rappelant les épisodes de ce jeune homme très pieux : «Un jeune homme pieux fait une sortie à bicyclette. En passant devant une église, il lâche le guidon d’une main et fait signe de croix. A cet instant il perd l’équilibre et se casse le bras». De deux choses l’une, me suis-je dit. Ou Dieu n’existe pas. Ou Dieu n’aime pas les hommes pieux.

Foin des hommes pieux (dont je ne suis pas), voilà encore comment Schnitzler me parla de ces Artistes, les grands comme les petits, les importants comme les insignifiants : «Chez l’artiste créateur, chaque production doit être marquée au coin de la nécessité, sinon elle est dévoyée au sens propre du terme. Chez celui qui crée par imitation et s’attache en tout cas à l’effet de l’instant, cet élément de nécessité peut être aussi remplacé par un autre : la routine, l’ambition, le désir de faire de l’effet».

Et sur l’écrivain, le voilà qui insiste : «L’écrivain est quelqu’un qui, par nécessité intérieure, forme et garde. Dans ses moments de création, le monde entier sert de matériau à son oeuvre. Dans les moments de stérilité, le monde entier perd pour lui son éclat et s’éteint carrément. Aucun homme n’est autant que lui homme par la grâce de l’instant».

Puis l’après-midi s’est achevé.

Puis la Nuit a commencé.

One Response to UN APRES-MIDI AVEC ARTHUR SCHNITZLER.

  1. Assurément un grand écrivain. Je pense que tu ne t’arrêteras pas à ce livre.

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