Singulières synchronicités (à propos du livre de Guy Birenbaum).

Enfant

Lorsqu’au sortir de sa dépression, Guy Birenbaum voit la petite lumière au bout de son tunnel, c’est l’étonnement qui le saisit. De retour dans le Réel, il nous parle des rencontres incongrues qu’il fait, des hasards de situations, de ses surprises et les nomme des «synchronicités».

Durant sa période de torpeur, Guy Birenbaum tombe sur un livre de Philippe Labro («Tomber sept fois, se relever huit»). Il s’empresse de le lire. («Cette lecture me rassure»). Un livre qui comptera dans sa trajectoire dépressive. En bien. Mal-être désormais en veilleuse, le voilà qui rencontre l’écrivain parisien à une terrasse de café. Guy Birenbaum n’a rien voulu, rien provoqué, c’est ainsi. «Hasard objectif» comme les Surréalistes avaient caractérisé ces instants. Et me voilà, à mon tour, faisant un début d’inventaire de livres qui m’ont aidé à vivre ! Ceux de Pavese, de Charles Juliet. Et de retrouver (ô Bonheur !) ces mots imparables du même Charles Juliet :

Ecrivains Juliet

Cette synchronicité, c’est aussi la mienne (en lecteur) avec Guy Birenbaum. Un croisement déjà condensé dans mon pseudo BiBi que je lui avais retourné en BiBirenbaum, canonisant ainsi son entrée dans le Royaume des bibis. Rencontre restée virtuelle jusqu’à aujourd’hui mais le socle commun, c’est que nous avons chacun un blog et qu’il me semble avoir vu jadis son nom dans l’hebdo défunt des blogueurs («Vendredi») qui accueillit alors mes Flèches (en même temps que les apports de notre auteur).

Ces synchronicités entre lui et moi, ces péroraisons à peine partagées (je laissais quelques commentaires très irréguliers dans son épicerie numérique) ne tiennent pas uniquement à ces hasards de fortune. Elles tiennent surtout (un peu) à nos lectures respectives, (beaucoup) à la façon dont elles interviennent dans nos vies.

Synchronicité (peinture) : il y a quelques jours, je rajoute sur un des murs de mon Salon, une aquarelle (non-originale) d’Eugène Boudin, le peintre de Honfleur. Honfleur-Trouville-Deauville : les plages, la tendresse des nuages, le flux apaisé des vagues. L’endroit où court Birenbaum. Sept kilomètres par jour. Hier insensible à cette Beauté, écouteurs vissés aux oreilles. Aujourd’hui, tête nue baignée par les chansons du vent normand.

Courir 3

Synchronicité : je décide de ralentir la cadence de mes billets sur mon blog, pas encore gagné – comme lui – par le vertige et l’addiction. Il est pourtant grand temps de mettre les freins. Et c’est à cet instant que je me souviens d’un MP qu’il m’avait adressé («J’ai tout découvert en même temps. Je me croyais indestructible. J’étais en carton») et que j’apprends qu’il va sortir un livre sur sa… dépression (liée à ses shoots numériques). Je veux éviter de me transformer en carton à mon tour. J’ai bien anticipé, mettant mon blog en jachère.

Synchronicité : la Question juive. Ici, à Thonon-les-Bains a été édifié un Mémorial en hommage aux Justes de France. (voir mon billet de juillet 2008 ). Avec, six ans auparavant (2001), l’initiative du Train des Justes refaisant le trajet des déportés, train dans lequel j’ai rencontré quelques Justes encore vivants. Des Justes racontant, presque gênés, leurs gestes de protection. Des instants, des conversations (avec J. Brousse), un voyage qu’on ne peut oublier. Émotion démultipliée à lire la dernière ligne de Birenbaum sur Rose et Désiré Dinanceau.

Photos Auschwitz

Synchronicité : «Personne ne peut s’écarter sans dommage de ce qu’il est, se feinter sans dommage» écrit Birenbaum. Et quelques jours auparavant, feuilletant les Carnets de Georges Haldas, j’étais tombé sur ce petit mot, repère vital, essentiel : «Tant qu’on n’est pas atteint dans ses assises, on ne sait pas qui on est». Finalement, en vingt mots, c’est la Course en résumé de Guy Birenbaum vers le Grand Vide… et vers sa Résurrection.

Synchronicité : «J’ai souvent eu honte de l’intellectuel que je suis. J’ai fui ce terme d’«intello» si décrié…». En écho, ces billets si importants (pour moi) que j’écrivis sur la question décisive (intimement et politiquement) de l’alliance des Intellectuels avec la classe ouvrière. Question intime des transfuges de classe. Question vertigineuse autour de mon «ascension sociale» (je ne finirai pas ouvrier à la chaîne), de mon autodidaxie (avec la honte ? la fierté ? qui s’ensuit d’avoir grimpé un à un aux barreaux de l’échelle sociale).

Trouville

Synchronicité : «…faire le malin, fanfaronner une fois de plus» dit Birenbaum sur le coup bien sévère avec lui (sur ce que je connais de lui: radio, télé). Car fanfarons, il y en a tant et tant dans ce Milieu. Pas forcément lui qui l’a plutôt joué discret (OK je n’écoutais pas Europe1 tous les jours). Mais le BiBi qui joue au fanfaron, je connais. Je connais mes petites autosatisfactions, ce besoin éperdu de reconnaissance, cette dérisoire soif de gloriole («de la vermine» m’avertissait pourtant Elias Canetti).

Synchronicité : «Depuis la suppression du service militaire, quand peut-on croiser des Français de toutes conditions ?». Oh, des français d’en-bas, j’en connaissais mais soldat perdu envoyé en Allemagne du temps de la Giscardie, je croisais alors mes premiers Ch’tis. Leur demandant en préambule s’ils avaient appris… 🙂 le français à l’école.

Synchronicité : «Si un jour je perds de vue l’enfant qui est en moi… » lui écrit David A. Refluent alors vers moi mes décennies professionnelles auprès des enfants et adolescents qui n’ont même pas connu (ou reconnu) l’enfant qui était en eux. Ils me reviennent plein fouet. Noms et prénoms. Instants magiques et désastreux. Douleurs et Couleurs dans ma trajectoire d’éducateur.

Synchronicité : Ce balancement dans le texte de Birenbaum où, dans une même phrase, il écrit «Maman» pour la ramener à «ma mère» (ou inversement). Et toujours présente, au-dessus de moi, disparue à elle-même de son vivant, ma mère avec Alzheimer (Aloïs Alzheimer comme seul compagnon). Ma mère qui aimait le sable chaud, le soleil, les plages. Elle aurait probablement aimé celle de Trouville.

Synchronicité : Hier, me replongeant dans le livre de Cesare Pavese, me voilà sidéré par une nouvelle synchronicité, par ce passage du «Métier de vivre»:

Pavese

 Ainsi vont les nouvelles… connexions !

*

Mais d’où m’est venue cette nécessité de rendre compte du livre de Guy Birenbaum ? Je ne sais. Peut-être parce que c’est un livre-témoignage qui dit la grâce des minutes heureuses revenues, qui dit le chagrin du temps qui passe, qui dit combien peuvent être terribles pour tout un chacun(e) l’absence de la «Cinquième Saison» et les cauchemars de la longue «Nuit caucasienne».

J’avais démarré mon billet par ce qui suit. Finalement, je le bouclerai par son introduction pressentie. Oui, mes lignes sont ici à leur place :

«Le livre de Guy Birenbaum est touchant. Il touche. Il me touche de près. Guy Birenbaum se raconte avec précision. On y prend des leçons de pharmacopée, on en serait presque à lui demander l’adresse de son génial psy (au cas où… demain). On est touché – boomerang – car dans son infernal récit de voyage entre Deauville et Paris (bizarre : GB n’aime pas voyager), on se déplace dans le même temps avec lui et avec soi. C’est qu’il y a de fortes similitudes (et de différences aussi) entre sa trajectoire, ses peurs, ses questions et les nôtres (les miennes). On les note, on est soulagé qu’il tienne bon en nage sous ses draps, on est touché lorsqu’il trouve appui chez ses amis (trésors irremplaçables. Bonjour aux miens, Gérard et les autres) même s’il n’accepte pas pour un temps leurs feedbacks, on est encore touché lorsqu’il arrête de plonger pour remonter en surface par paliers et par le parler (Rappel : le soin psy n’est pas une coquetterie de BoBo… ».

Que nous reste t-il dès lors, une fois le livre refermé ? Cette chose précieuse de continuer de se fier, d’être attentif et bienveillant à ce qu’il y a de plus vivant en chacun.

Qui suffoquent

4 Responses to Singulières synchronicités (à propos du livre de Guy Birenbaum).

  1. Steph dit :

    Juste merci. Très beau texte. Etonnée (ou pas tant que ça !) qu’il me parle autant. J’avais déjà envie d’acheter ce livre : je crois qu’il est temps 🙂

  2. gbirenbaum@gmail.com dit :

    C’est vraiment très touchant de se lire ainsi lu…

  3. […] Il a littéralement frappé au cœur ». Impressions partagées par PensezBibi qui revient sur de singulières synchronicités et nous incite à un peu plus d’introspection. Une lecture pour ma semaine de vacances dès ce […]

  4. […] a littéralement frappé au cœur ». Impressions partagées par PensezBibi qui revient sur ces singulières synchronicités qui devraient inciter à un peu plus d’introspection et à moins d’extimités. Lecture […]

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