John Berger le copain de Baruch Bento Spinoza.

John Berger Blog

Je viens de terminer le livre de John Berger («Le Carnet de Bento»). Sa lecture me plonge dans un état plutôt étrange. Je n’ai pas tout compris mais je laisse les mots et les phrases se déposer lentement en moi. Un peu comme lorsque vous tournez la vase d’une mare avec un bâton. Il faut plusieurs jours pour que l’eau redevienne claire.

Plusieurs étages, plusieurs niveaux.

John Berger dessine. On voit ses dessins qui poussent comme des herbes sauvages entre les pages. A intervalles réguliers, on lit  du Baruch Spinoza, baptisé Bento (ce fut son surnom). Les croquis de John Berger – tons jaunâtres privilégiés, salive étalée, grise, traits tremblants – lancent le texte. Vous l’avez compris : il y a du texte, du Spinoza (Œuvre III, Ethique – passages difficiles à percer) et du dessin. Le dessin de John Berger nait d’un arrêt devant les choses de la vie et devant ceux qui l’habitent.

Trois voies (voix) croisées : le texte et le dessin avec/autour de Spinoza.

Le dessin.

Il parait que Spinoza a dessiné toute sa vie. Le livret de croquis du philosophe n’a pourtant jamais été retrouvé. Autre hypothèse : il aurait été conçu par l’imagination de John Berger. Carnet  imaginaire peut-être mais qui hante si fortement l’écrivain anglais que ce dernier – comme le philosophe qui polissait des lentilles – prend conscience de ce vers quoi la pratique du dessin peut le conduire.

Mais ce but, cette clarté ne sont finalement pas si limpides à déchiffrer : «J’ai commencé à faire des dessins, poussé par quelque chose qui demandait à être dessiné». Ce quelque chose de mystérieux ne demande pas à être levé : pour l’auteur, il demande à être porté.

JOhhhnnDestinées multiples.

Ce qui est beau et touchant avec les dessins-John-Berger (dessin d’iris, d’un vélo, des croquis de portraits en nombre, d’un chat, de quelques lieux et bâtiments), c’est qu’il faut compter avec ceux et celles qui leur sont présents. John Berger retrace donc (plus qu’il ne raconte) les itinéraires de vie, les chemins singuliers empruntés par des hommes et des femmes. Le tout avec beaucoup de force et d’intensité : tracé de Luca (de sa bicyclette) et de Rosalie, italiens arrivés en France. Luca montant dans l’échelle sociale en fin de vie et Rosalie atteinte d’Alzheimer.

Avec une belle sensibilité, l’auteur touche et retouche d’autres destinées : celles d’un couple de nageurs cambodgiens dans une piscine parisienne, d’une polonaise à une caisse de Supermarché hard discount, d’un lecteur inconnu des Frères Karamazov, de Juan la Citrouille peint par Velasquez, de l’écrivain russe Platonov. Équilibre dans l’écriture : entre empathie et distance, John Berger se montre toujours bienveillant auprès de chacune des figures marquées par la vie, le hasard malheureux, la fêlure humaine.

La moto.

John Berger aborde aussi son quotidien. Passionné de moto, John Berger suit les sinuosités de son engin (une Honda CBR 1100) pour en faire de belles métaphores avec les arrondis tracés sur la page à dessin. («On pilote un dessin» lance t-il en un dernier coup de crayon).

Protestation.

Son livre est aussi un livre de «protestation». Il y a du politique dans les fondations souterraines de son Carnet. En s’attardant un peu sur les marges, on lit : «Les pauvres usent de toutes les ruses mais ne se déguisent jamais. Les riches se déguisent généralement jusqu’à leur mort. Un de leurs déguisements les plus fréquents est le Succès». 

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Et John Berger de conclure : «Il y a deux sortes de narration. Celle qui traite de l’invisible et du caché, et celle qui expose et révèle». John Berger pense que c’est la première des deux narrations qui est la plus adaptée, la plus incisive pour raconter le monde d’aujourd’hui. Peut-être que John Berger ne veut pas se l’avouer mais son livre témoigne que les deux peuvent tenir ensemble, l’une contre l’autre, l’une toute contre l’autre.

C’est cet Indécidable, c’est cette étincelle d’entre-Deux qui fait littérature, qui porte et la lecture et le lecteur.

Mais de cela, on n’a pas fini d’en parler.

Et de l’écrire.

2 Responses to John Berger le copain de Baruch Bento Spinoza.

  1. c’est ton sosie 😉

    Bonne année

  2. BiBi dit :

    @Pas perdus
    Non, il n’y a qu’UNE étoile du… Berger ! 🙂

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