Deux Contes en acompte.

Hafiz-2

Poème d’خواجه شمس‌الدین محمد حافظ شیرازی (Hafez, poète iranien 1310-1379)

Il y a des contes qui vous tiennent en haleine, des contes qui vous réveillent, des contes à vous tenir debout, des histoires incroyables, des contes sans fonds, des contes aux ressources incalculables (votre pauvre esprit ne suffira pas à en épuiser intégralement les sens et les contresens :-)). Alors se laisser prendre comme cet homme rêvé par Elias Canetti ( dans «Les Voix de Marrakech») : «Je rêve d’un homme qui aurait désappris les langues de la terre jusqu’à ce qu’il ne puisse plus comprendre, dans aucun pays, ce qui s’y dit».

En attendant de faire la rencontre de cet homme, voilà deux contes en acompte.

*

LE GRAND CALIFE ET SON VIZIR.

« Un matin, le Vizir de Bagdad heurte dans un marché une femme au visage blafard. Ils ont tous deux un mou­vement de surprise. Le Vizir sait qu’il a rencontré la Mort. Affolé, il accourt au palais et supplie le Grand Calife : «Puisque la mort me cherche ici, lui dit-il, permets-moi, Seigneur, de me cacher à Samarcande. En me hâtant, j’y serai à la tombée de la nuit !» Sur quoi, il selle son cheval et file au grand galop.

Plus tard dans la journée, le Grand Calife rencontre lui aussi la Mort. «Pourquoi, lui demande-t-il, as-tu effrayé mon Vizir, qui est si jeune et bien portant ?»«Je n’ai pas voulu lui faire peur, répond-elle. J’étais juste surprise de le voir ce matin à Bagdad, car j’ai rendez-vous avec lui, ce soir, à Samarcande».

*

dancinghassid

« TU AS PEUT-ÊTRE RAISON »

«Il était une fois  un «shammes», un bedeau, qui gagnait modestement sa vie en s’occupant de la synagogue d’une toute petite ville de Pologne. Un jour, un ami vient chez lui, voit qu’il a un beau coffre, une belle table, des chaises, de magnifiques tentures. L’ami lui demande : « Mais est-ce que tu crois que tu es heureux avec tout cela ? »

– « C’est vrai, se dit le «shammes» un peu dérouté, qu’est-ce que c’est le bonheur ?  Le lendemain, le bedeau va trouver le rabbin et lui demande : « Rabbi, Rabbi, dis-moi ce qu’est le bonheur ? »

Le rabbin lui répond : « Va vers l’Ouest et tu trouveras ce que c’est ! »

Le bedeau voyage, il voyage mais sans être plus avancé. Il arrive aux îles Fidji sur une plage magnifique bordée de cocotiers. Des indigènes, nus et musclés, la tête couronnée de coquillages, pêchent au harpon et le voient débarquer. Le « shammes » s’approche d’eux et les interroge.

– « Oh, mes Amis, il paraît que vous savez ce qu’est le bonheur ? »

– « Vous savez, nous, on ne travaille pas, on est dans l’eau toute la journée, on mange le poisson qu’on pêche. Alors le bonheur…Vous n’êtes pas le premier à nous poser la question. On ne peut pas vous répondre… Allez donc à l’Ouest ! »

Le «shammes» arrive alors au Tibet où on le présente au Dalaï-Lama. Celui-ci lui dit : «Le bonheur, je suis sur le point de savoir ce que c’est, mais il y a quelqu’un en Pologne qui le sait vraiment, c’est le Rabbin Jacob ».

Le « shammes » se frappe le front : «Hein ? Quoi ? Jacob ? Mais c’est mon rabbin !» Il rentre précipitamment dans sa ville natale et fait irruption chez le rabbin :

– « Dites donc, Rabbi, vous n’avez pas honte, j’ai fait le tour du Monde pour savoir ce qu’était le bonheur et vous connaissiez la réponse !»

Le Rabbin le regarde un peu tristement, ouvre sa fenêtre qui donne sur un paysage banalement campagnard et dit au bedeau :

– « Regarde la rivière en bas et le petit pont qui l’enjambe, eh bien, c’est cela le bonheur ».

– « Vous rigolez, Rabbi, reprend le «shammes», j’ai vu des lagons où l’eau était si bleue qu’on pouvait s’y mirer, j’ai vu les chutes du Niagara, mais le ruisseau dégueulasse en bas, ma mère y lavait son linge et j’ai pissé dedans quand j’étais gamin, alors ce ne peut pas être cela le bonheur ! »

Le Rabbin le regarde à nouveau, toujours aussi triste et lui dit :

– « Tu as peut-être raison ! ».

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