VENISE : ENTRE LE JOUR ET LA NUIT.

 

 Tu pars en voyage. Et le dernier geste que tu fais sera d’arpenter tes étagères pour trouver des petits livres, pas trop lourds, des livres qui te tiendront compagnie dans les temps creux de ton odyssée. Celui de Pablo de Santis, écrivain argentin («La traduction » chez Métailié) t’a été utile. Tu as retenu ce passage : « Une journée en voyage est comme une vie en miniature : des rencontres, des séparations, des adieux. Dans la vie réelle, on met des années à devenir l’ami de quelqu’un ; en voyage, une conversation de quelques minutes suffit ».

Ainsi de ta rencontre amicale avec Paul.

Venise Vieux

«Paul est veilleur de nuit dans le petit hôtel où j’ai passé trois nuits. Voilà dix-huit ans qu’il habite l’Italie. Si les gens croisent Paul, il est probable – comme il le dit justement – qu’il ne soit pas vu comme un expatrié mais comme un migrant : «Quand on parle d’expatrié, rapporte t-il justement, 9 fois sur 10, c’est un homme du white people». Il est parti du Sénégal, de la Casamance précisément avant d’atterrir à Naples par des filières sur lesquelles il ne voudra pas s’étendre. Napoli puis Roma et là, Venezia Mestre.

Il n’est pas venu seul. A 20 ans, ils étaient une bande, sept ou huit amis sans qualifications, à tenter l’aventure en Europe, à vouloir vivre dans ce qu’ils croyaient être l’Eldorado. «Mes amis ont vite trouvé des petits boulots puis ils ont eu la possibilité de travailler dans des usines. Dans les années 90, il y avait des promotions faciles, des formations qui pouvaient nous permettre de grimper les échelons. Pour ma part, j’ai eu la chance de trouver ici à Venise, dans cet hôtel, une place de veilleur de nuit. Mes amis me disaient souvent que ce n’était pas un métier d’avenir mais j’ai préféré cette sécurité. Et j’ai eu raison. Mes amis se sont retrouvés chômeurs avec la crise et les emplois ne couraient pas les rues surtout pour les nègres ! La plupart sont repartis en Casamance. J’ai même un ami «très chagriné» qui s’est alors suicidé».

Venezia

A la question de savoir comment il a appris si bien le français, il me dit qu’il a eu de la chance d’être tombé sur des hôteliers au grand cœur. Le couple (un italien, une française), propriétaire de l’hôtel, l’a pris sous son aile et l’a poussé à apprendre l’italien, le français et l’anglais. Sa femme et ses enfants sont au Sénégal, le temps que les enfants finissent leur école là-bas. Il les rejoindra pour le mois de novembre, le mois creux où l’hôtel ferme. En réciprocité, il a aidé les propriétaires à trouver une maison près de Dakar.

Paul commence à huit heures du soir et finit à 9h30 le matin. «Pour l’instant, mon corps s’est habitué. Il suit» dit-il en riant.

Monstre des Mers

Sur Venise, je lui fais part de la présence catastrophique des gros bateaux, Monstres des Mers qui sillonnent les eaux vénitiennes avec arrogance et cynisme et qui portent sur leur dos des énormes cargaisons de touristes. Paul me parle des manifestations de l’an dernier. Les gens, équipés de gilets de sauvetage sur ces petites embarcations, tentèrent de barrer le chemin du Canal. Un gondolier est mort par suite du remous occasionné par ces Monstres de Mers.

Partout, on se bat, on proteste. Contre Armateurs, banquiers, politiciens véreux, grands mafieux.

Ici, à Venise. Ailleurs et c’est tant mieux.

4 Responses to VENISE : ENTRE LE JOUR ET LA NUIT.

  1. Un partageux dit :

    Casser. Détruire. Ravager.

    À Venise ces énormes bateaux qui bousillent des édifices anciens…

    Un monde qui court à sa perte.

  2. jeannedau dit :

    Petit billet en prise avec l’actualité…

    du Bibi et c’est très bien.
    Comment ne pas ouvrir les yeux, aussi, sur ceux qui nous permettent lors de nos voyages de faire connaissance et de constater que les êtres humains ici et là sont les mêmes, avec les mêmes problèmes.

    On attend la suite….

  3. Robert Spire dit :

    Ce qui m’avait frappé à Venise (lors d’un séjour au printemps 1977, étaient que les rues et les places devenaient chaque soir espaces de discussions animées entre les gens. Bibi, cela existe-t-il toujours en cette époque d’Internet et de jeux vidéos?

  4. BiBi dit :

    Voilà 4 fois que je m’y rends.
    La nuit, je ne sais car dormir à Venise même est hors de prix.
    Les temps ont changé sur l’ambiance dans la journée. Les Monstres de Mer vomissent tous les jours des touristes qui ne sont pas là pour discuter mais pour faire ce que tout touriste « doit » faire, c’est-à-dire se conformer aux désirs « poétiques » des Marchands.
    Les hordes sauvages des touristes bien canalisées finissent par devenir une horreur. Restent les îles (Murano/Burano, moins le Lido)qui restent encore agréables.

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