Le Chameau de Flaubert et les Etoiles.

Vitesse de libération

Dans ses souvenirs littéraires, Maxime Du Camp (un grand pote de Gustave Flaubert) raconte leur départ pour l’Egypte. Ce voyage commença le 15 novembre 1849 et s’acheva le 18 juillet de l’année suivante. Mais ce qui intéresse BiBi c’est non seulement le temps (la façon) mis par les deux compères pour faire le voyage Paris-Marseille (ville de l’embarquement) mais c’est aussi – en écho –  la vitesse d’accélération de la figure du Monde… du nôtre.

Voilà comment Du Camp en rend compte :

«Le «rapide» (le train) n’existait pas alors, et il y avait loin de Paris à Marseille. Le 29, nous prîmes la diligence, puis le bateau à vapeur de Chalon à Lyon, puis les bateaux du Rhône jusqu’à Valence, où le brouillard nous arrêta, puis une voiture de poste jusqu’à Avignon et enfin le chemin de fer qui, le 1er novembre, après quatre jours de route et de transbordements, nous déposa à Marseille. Le 4 novembre, nous montâmes à bord du Nil, paquebot de deux cent cinquante chevaux (…) après onze jours de roulis, de tangage, de coups de vent, de mer démontée, la terre d’Egypte fut signalée et, le samedi 15 novembre 1849, nous prenions pied à Alexandrie».

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En 1995, paraissait un livre de Paul Virilio («La vitesse de libération» chez Galilée) où l’auteur posait ses interrogations sur l’accélération de l’histoire, sur les déplacements «géographiques». Le Monde passait mais à quelle vitesse ? Entre le Voyage d’Egypte de Flaubert et nos déplacements à vitesse supersonique (instantanéité du Net, rapidité du TGV) seuls cent cinquante années nous séparent.

«La résistance des distances ayant enfin cessé, écrit Paul Virilio, l’étendue du Monde rendra les armes défensives qui avaient pour nom, durée, étendue et horizon. «La Terre nous en apprend plus long sur nous que tous les livres, parce qu’elle nous résiste. L’homme se découvre quand il se mesure à l’obstacle», constatait Saint-Exupéry. La Terre et la lune aussi, depuis que l’homme y a posé le pied. 

Rompre progressivement toute résistance, toute dépendance locale, faire capituler l’opposition de la durée et de l’étendue, non seulement de l’horizon terrestre mais de l’altitude circumterrestre de notre satellite naturel, voilà bien le but désormais atteint par des sciences et des techniques humaines : briser l’écart, faire cesser le scandale de l’intervalle d’espace ou de temps qui séparait de manière intolérable, l’homme de son objectif, tout cela est en passe d’être accompli, mais à quel prix ? Sinon celui qui rend pitoyable, définitivement pitoyables, non seulement les pays traversés dans une indifférence quasi-générale, mais le Monde, l’Espace-Monde».

Sans verser dans le catastrophisme-Virilio, on peut résister en continuant l’apprentissage des distances (d’un point à un autre, d’un être à un autre), en ne cessant pas de parfaire l’art de tenir ses distances, de les réduire (amoureusement, amicalement), de les garder tout aussi bien.

Et encore, tenter pour chacun d’entre nous de se faire son repaire, de se repérer par rapport à soi, aux autres, au Monde.

Dessin  Egypte

La «méchante» Technologie, ses avancées, ses grandeurs, ses horreurs n’entameront en rien l’essentiel de l’humain. Flaubert disait cet entêtement en une magnifique ellipse : «Je suis de l’acabit des Chameaux qu’on ne peut ni arrêter lorsqu’ils marchent, ni faire partir quand ils se reposent».

Ailleurs, il alla pondre cet autre aphorisme, aussi poétique que justement mathématique, aphorisme qui dit l’Infini, l’Inépuisable : «Plus les télescopes seront perfectionnés et plus il y aura d’étoiles».

Flaubert en Egypte

One Response to Le Chameau de Flaubert et les Etoiles.

  1. Un partageux dit :

    Jaurès s’est rendu en Amérique du Sud. On prenait alors le bateau et le voyage durait assez longtemps pour permettre à Jaurès de lire Don Quichotte dans le texte ainsi que de lire je ne sais plus quel monument littéraire en portugais, toujours dans le texte. Avec une traduction à côté. On avait le temps… Pour Jaurès c’était aussi l’occasion de réaliser qu’il pouvait lire sans peine ces deux langues qu’il n’avait jamais fréquentées. Et de réaliser que sa connaissance de l’occitan lui servait de pont linguistique. Et d’écrire ensuite sur l’intérêt d’enseigner à l’école la comparaison entre occitan et français. Le voyage en laissait le temps…

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