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Théâtre : les Pestiférés. (Londres 1665).

ENTRETIEN AVEC L’AUTEUR : Madani ALIOUA

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Pensez BiBi : Ton année (2025) a été riche puisqu’en août est paru ton dixième roman (« Une Nouvelle Solitude ») et qu’en ce mois de décembre sort en livret, chez le même éditeur (L’Harmattan. Scènes) ta première pièce de théâtre (« Les Pestiférés. Londres 1665 »). Peux-tu expliquer ton rapport au théâtre ?

Madani ALIOUA : Il date de mes 17 ans. Mon camarade Gérard Vernay (à qui est dédiée ma pièce et à qui je l’avais soumise pour la travailler) m’avait invité aux Nuits de l’Enclave à Valréas où, ébloui, j’avais pu voir de formidables pièces jouées par la Comédie de Saint-Etienne. Plus tard, sans être aficionado, j’avais vu quelques spectacles au TNP de Villeurbanne.

Cela aurait pu en rester là lorsque 30 années plus tard, dans le cadre de mon travail d’éducateur, je me suis mis à écrire deux pièces de théâtre pour la dizaine de jeunes qui voulaient s’y essayer. Ce Théâtre sur scène tout public couplé avec des castelets de marionnettes dura près de quatre années. Nous avions organisé nous-mêmes des tournées (en Haute-Savoie, en Suisse, en Ardèche, en écoles d’éducateurs, avec participation au Festival des mômes du Grand-Bornand).

Mais pour les Pestiférés, ce fut les lectures conjointe passionnantes du journal de Samuel Pepys et du livre de complément de Claire Tomalin (« Monsieur Moi-même ») qui me décida – non sans avoir hésité entre court roman et pièce de théâtre.

Pensez BiBi : Les Pestiférés. Londres 1665. Une constante chez toi, c’est la continuité entre Histoire et écriture. Après Vichy 1940-41 évoqué dans « La Guerre N’Oublie Personne », les Glières 1944-1968 dans « So Long, Marianne », après « Une Nouvelle Solitude » avec les folles de Morzine 1860, nous voilà dans le Londres 1665 de la Grande Peste.

M. A. : Je travaille toujours sur des périodes d’exacerbation, des moments de bascule et de fortes tensions historiques. Vichy 1940 : personne n’a écrit pour en parler de l’intérieur. Mon roman sur les Glières est une première fiction sur des faits d’importance. La possession collective de Morzine 1860 est historiquement importante puisque, vingt ans avant Freud et Charcot, le docteur envoyé par Napoléon III y avance le terme d’hystérie (« hystérodémonopathie »). L’épidémie de Londres me permet de montrer comment les rapports sociaux ont été bousculés. Ecrite avant la Covid, ma pièce dans une écriture que j’espère en correspondance avec l’époque, disait aussi étonnamment beaucoup de choses sur le politique d’aujourd’hui et les comportements des puissants durant la dernière épidémie contemporaine.

Pensez BiBi : Dis-nous en quelques mots la trame de ton drame en 4 actes et 8 à 9 neuf personnages.

M. A. : Nous sommes au cœur de Londres chez les Dickinson, une famille en pleine ascension sociale. Le couple Henry et Elizabeth se prépare au mariage de leur fille Isabella et de John Blake, dissident, acteur du théâtre du Cockpit financé par le Roi Charles. Début de l’été chaud de 1665, se propage une terrible peste qui va toucher cette famille, perturber les noces, entraver l’ascension d’Henry au Département de la Marine. Tout cela sur fond de guerre entre l’Angleterre et la Hollande pour la maîtrise des mers et Océans. D’où manifestations de marins impayés, dépenses royales somptueuses, une population de miséreux qui n’ont aucune protection qui fait peur à Henry.

Pensez BiBi : On rappelle que les londoniens ignorent alors comment se propage la Maladie Noire (le vaccin ne sera découvert qu’au 19ème siècle). Les bulletins de morts deviennent de plus en plus lourds. Le Roi, sa Cour fuient à Hampden Court. Les médecins, apothicaires et autres riches fonctionnaires se réfugient en banlieue où ils sont mal accueillis…

M. A. : A l’intérieur de ce Londres, la vie continue. C’est le cas surtout pour Henry, sa femme, son valet et Clemence sa dame de compagnie. Les intrigues continuent plus que jamais, les détournements de fonds aussi. Elizabeth prépare le mariage, Isabella essaye ses robes. Seul Tom le valet comprend le pouls de la ville. Mais la peste ne peut épargner les familles riches. Elle s’abat sur une partie de la famille et va modifier le comportement de ceux qui restent vivants.

Pensez BiBi : L’argent devient alors un élément important.

M. A. : Alors que la mort est omniprésente, la préoccupation d’Henry, celles de John Blake et – à un degré moindre – de l’enquêtrice (une miséreuse engagée pour repérer les maisons infectées) reste celle de l’argent. Subitement leur rapport acharné à l’argent et au capital possédé par le chef de la Maison devient l’affaire la plus importante. Chacun de croire que posséder le magot suffira à le protéger.

Pensez BiBi : C’est le cas de John Blake par exemple, une figure qui devient centrale lors des deux derniers actes.

M. A. : John Blake est un fils de famille fortunée. Il est dissident, républicain, porteur d’idées nouvelles. Isabella (la rebelle chez les Dickinson) est amoureuse de John malgré les réticences de sa mère. John Blake espère jouer du Macbeth quand la peste aura disparu. Mais deux malheurs vont le frapper : la perte de ses parents (et de leurs biens en banlieue) et celle d’Isabella, à son tour infectée. Dès lors, sa seule préoccupation sera de se protéger et il le fera avec férocité en lorgnant sur la fortune d’Henry, croyant que l’argent peut le préserver.

Pensez BiBi : L’apparition de l’enquêtrice va bousculer ceux qui sont restés valides. Son rôle va être un rôle-pivot.

M. A. : Les autorités vont prendre des mesures pour repérer et faire l’inventaire des familles infectées. Par décret, elles sont allées chercher des indigent(e)s, des miséreux venus des bas-fonds londoniens qui seront payés (misérablement mais c’est une première pour eux). Leur travail ? Entrer dans les maisons du cœur de Londres, établir l’inventaire des membres infectés et si infectés il y a, interdire à tout occupant de sortir. De plus, sur la porte est peint une croix rouge pour signaler la maison touchée. Pour l’enquêtrice, le pouvoir (et chantage) devient soudain exorbitant.

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Pensez BiBi : Ta pièce donne la chance à tous les personnages, du valet à la Dame de compagnie, des idées fixes d’Henry à celles d’Elizabeth, de Blake amoureux à Isabella rebelle devant les lectures bibliques réactionnaires du Pasteur. Tout cela malgré la Peste qui les surplombe. On pourra tout à fait faire des correspondances avec ce que nous avons connu avec la Covid. On te souhaite le meilleur, le meilleur étant de voir ta pièce être montée sur une scène et pourquoi pas voir un jour, une traduction anglaise. Avis aux troupes : le texte est disponible ici et en commande en toute librairie.

La pièce est publiée en livret de 13 euros chez L’Harmattan (Collection En Scène).

Londres,Wuhan : peste bubonique et coronavirus.

Au milieu des troubles actuels, intimes ou non, m’est revenu un travail écrit que j’avais mené à bien il y a quelque quinze ans en arrière. Une pièce de théâtre que j’avais proposée à quelques troupes locales. Refusée. Et aussi à quelques éditeurs de théâtre. Refusée. Un travail que j’avais « protégé » à la Société des Auteurs. Je viens de le relire après l’avoir ressorti de mes tiroirs. Son titre ? «Les Pestiférés. Londres 1666».

Pourquoi cette réminiscence aujourd’hui ? Certainement à cause de la prégnance de la confusion actuelle et de la présence grandissante de cette peur due au rampant coronavirus. Les analogies entre hier et aujourd’hui sont nombreuses.

Ce thème, cette idée d’écrire sur la peste londonienne m’était peut-être venue à la suite du 11 septembre (et de ses suites avec les calamités de la guerre d’alors en Irak). Mais ce qui a été beaucoup plus décisif dans ce rappel mémoriel n’a pas été le souvenir du livre d’Albert CamusLa Peste»), lu il y a bien longtemps. Non, c’était la lecture du Journal de Daniel Defoe sur la Peste mais aussi et surtout la découverte fortuite mais fascinante du Journal d’un certain Samuel Pepys au début des années 2000.

La plupart d’entre vous doivent ignorer qui était ce fonctionnaire, administrateur anglais du XVIIème siècle qui travaillait à l’Amirauté (la Marine royale anglaise). Né en 1633 à Londres, Samuel Pepys était de souche plutôt modeste. Ce qui va le rendre célèbre pour la postérité, c’est qu’il va tenir au jour le jour, un Journal dans lequel il rassemble les faits de sa vie de travail, de sa vie familiale (avec ses querelles et ses bonheurs), de sa vie amoureuse avec le récit de ses folles épopées extra-conjugales. En 10 ans, il va emplir six gros carnets avec une précision extraordinaire et des détails passionnants. Une plongée dans la vie de la Cité de Londres exceptionnelle.

Par peur de la cécité, son travail de diariste cessera néanmoins en 1670. Avant cela, autour des années 1660-66, Samuel Pepys connaîtra trois grands évènements : la Peste (1665), l’Incendie de Londres et la deuxième guerre de rivalité commerciale et maritime contre la Hollande.

Alors que le nombre de morts atteint des sommets (1/6ème de la population londonienne) Samuel Pepys est miraculeusement préservé. Il continue de travailler même s’il déménage provisoirement sa famille hors de Londres. La ville compte plus de deux mille morts de la Peste encore en 1666.

Ma pièce démarre en 1665, année de la Peste. Henry (très accaparé par la guerre navale contre les Hollandais) et Elisabeth Dickinson préparent le mariage de leur fille Isabella avec un comédien (ce qui, à l’époque, est mal vu). Dans la Maison, les valets et servantes parlent tout bas de la Peste et ont peur que le Maitre des lieux ne les renvoient. Alors que toute la famille, polarisée par le prochain mariage, pense enfin à se réfugier hors de Londres et fuir la peste bubonnique, une Enquêtrice va ordonner à tous les membres de cette famille de rester en quarantaine par décret. Monde inversé : ce sont les pauvres qui doivent visiter les Maisons (dont celle des Dickinson) et déterminer puis signaler tout membre atteint de la peste. Monde désormais à l’envers où les Dominés tiennent (mais très provisoirement) le pouvoir.

Pour présenter mon travail à l’extérieur, j’avais écrit un texte de présentation en ouverture de ma pièce. Le voici :

Aujourd’hui, je lis des tweets de personnes qui pensent que le coronavirus va mettre le Capitalisme à bas et qu’il y a lieu de se réjouir. Terrible illusion : le Capitalisme ne s’écroulera pas de cette façon. Il a des réserves insoupçonnées. Structurellement et idéologiquement, il est capable de se maintenir et de nous faire payer cher, très cher son maintien et ses errances. Reste que cette pandémie – dont nul ne sait quand elle s’achèvera (rappel d’importance : la Science ne sait pas tout) entraînera paradoxalement des effets de connaissance sur ce Régime qui nous asservit depuis trop longtemps, sur ce Régime si brutal, sans pitié pour les plus faibles. Et, bien entendu, ces effets sont et seront précieux dans les luttes et les combats à venir.

C’est à tous ces combattant(e)s que je pense. A ce merveilleux personnel hospitalier moqué, ignoré, qui, depuis plus d’une année, s’est associé aux gilets jaunes pour crier sa détresse et brandir sa révolte sans faiblir.

PS : Sait-on jamais ? Pour qui s’y intéresse (de préférence éditeurs & gens de théâtre), mon texte est… disponible.