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La Une de Libération sur Geoffrey Lejeune.

Ce n’est pas qu’une simple photo. Ici, elle est en Une d’un quotidien qui se proclame de gauche, qui a une histoire (grotesque depuis son titre à appeler à voter Macron 2017), qui a un grand patron et une Rédaction au long passé compatible sarko-socialo-macroniste. Un quotidien que les extrémistes de droite insultent en le classant à gauche (défense de rire), oubliant que le seul quotidien qui le soit est L’Humanité.

La photo à la Une de Libe a fait le tour des réseaux sociaux avec cette légende en titre : « Le jour du Saigneur ». On s’étendra plus loin sur le sens du jeu de mot qui est dans les habitudes du journal et qui en est même devenu une marque de fabrique. A foison, jeux de mots sur les Unes, jeux de mots dans les titres, dans les sous-titres qui dispensent d’ailleurs souvent le lectorat de poursuivre la lecture de l’article en entier, le lecteur se satisfaisant du calembour.

Sur la photo de Geoffrey Lejeune, on aurait aimé savoir comment elle a été prise. Pas à la sauvette bien sûr. Elle est savamment construite. La porte au loquet lourd et doré pourrait faire penser à la phrase poétique de William Blake : « Entre les choses connues et les choses inconnues, il y a des portes ». Mais là, non : les choses que va propager Lejeune sont connues. On connaît que trop l’inventaire à dégueuler du futur JDD (Journal Du Déchet). Au choix des articles pour un prochain numéro ici avec le tweet de Sébastien Fontenelle.

Lejeune est en plan moyen.

Veste bleue et cravate assortie, chemise blanche fripée (à l’inverse de celle toujours bien repassée de BHL). Un petit ventre légèrement bedonnant et deux mains avec pouces accrochant les deux poches de son jean. Important l’increvable jean : « le jean Lejeune » dirait mon pote pour faire un calembour façon Libé).

Un visage indifférent au lecteur même si Lejeune nous regarde droit dans les yeux (on le sait, tout est calculé). Une bouche de garçon renfrogné qui laisse deviner une intention sournoise avec un air quelque peu j’men foutiste qui semble dire « Allez, dépêchez-toi, connard de photographe, j’ai autre chose à faire ».

Au fond, Lejeune n’est pas très beau, pas très avenant malgré sa chevelure choisie, coiffée à l’arrière façon Johnny Depp et sa barbe naissante de puceau adolescent. Bref, une dégaine plutôt à la Pete Doherty pour nous montrer probablement que les grands Rebelles du XXIème siècle sont désormais des extrémistes de Droite. Ici ses copains-rebelles.

Mais revenons à cette légende de Libération qui accompagne la photo, une légende qui joue sur Seigneur et Saigneur et qui rappelle à la fois le dimanche de la messe et les dominicales sorties du JDD.

Sur le mot d’esprit en rapport avec l’Inconscient, on sait depuis Freud qu’il est par nature ambigu. Pour draguer son lectorat, on veut faire son intéressant, on veut épater la galerie (on fera mieux que les autres médias. La preuve de cette réussite ? J’écris mon billet sur cette Une).

Cependant, il y a un autre rapport derrière ce plaisir instantané : il est plus caché, il est évidemment non-dit. N’oublions pas la leçon freudienne que derrière tout mot d’esprit, il y a de l’agressivité. Une agressivité plus ou moins violente mais, avec ce camouflage en forme de clin d’œil complice au lecteur, ça peut passer et ça passe.

Une agressivité contre le public de lecteurs(trices) ? Bien sûr que non.

Une agressivité contre Lejeune ? Admettons. Mais il y a plus.

Cette habitude du jeu de mot aux moments importants de l’Actualité (et le passage du JDD ds les mains de Bolloré en est un) attaque aussi bien autre chose.

Sous couvert de gouaillerie bien française, cette façon d’annoncer les faits d’Actualité attaque finalement… le journalisme lui-même et ce journalisme proposé ici…par Libération lui-même.

Certes le titre formulé sur Lejeune nous raconte une chose importante, sérieuse, dangereuse mais, comme les jeux de mots sont des habitudes journalistiques adoubées par la Rédaction, pourquoi s’en faire ? Il n’y a pas lieu de s’alarmer sur cette prise de pouvoir de Lejeune. Façon de nous dire « Libé n’est qu’un journal, chers lecteurs et lectrices, et comme tout journal, le nôtre n’a finalement comme poids que le poids du papier, d’un papier qui servira au mieux à envelopper les sardines ».

Du coup, cette Une nous invite à la dérision, à l’acceptation tacite et toute douce de choses monstrueuses comme cette prise en main bolloréenne d’une radio (Europe1), d’un hebdo (ParisMatch), d’un journal sur la place les dimanches. Rajoutons encore la main mise sur plus de 50% de l’edition française.

Pour conclure, il y a eu débat et deux façons de voir sur cette Une. Je vous livre ici celle de Françoise Degois (journaliste disons-la de gauche) et celle de David Dufresne qui est plutôt en phase avec ce billet.

Enfin qu’une chose reste après votre lecture : il faut continuer de combattre la Macronie qui reste plus que jamais le sérail de l’extrême-droite. Pour la lecture, rien de mieux que ce dernier billet impeccable de Frédéric Lordon.

A bibientôt.

Lecture de blogs.

 Blog-LA-REVUE

C’est la REVUE DES BLOGS chez PensezBiBi. Et c’est beaucoup mieux que le poids des mots du JDD, beaucoup mieux que le choc des photos de Paris-Match. Les Blogs restent encore cet espace de liberté (surveillée à n’en pas douter) où ça circule, ça chante, ça se désespère, ça s’énerve, ça roucoule et ça se cogne. Mais toujours avec ces mots qui tapent dur et caressent douces.

Petit tour d’horizon sur ma Blog Rock and Roll et amitiés à celles et ceux qui œuvrent sur leurs écrans et qu’aujourd’hui je n’ai pas cités.

Roland Barthes : populaire et contemporain (2).

Deuxième partie de l’entretien de Roland Barthes avec le journaliste de l’Humanité, Alain Poirson en 1977. Le magnifique  livre « Fragments du Discours amoureux » au Seuil venait de sortir. L’article avait un titre tout en justesse : « Populaire et contemporain à la fois ». [Extraits 2].

« Il n’y a pas eu beaucoup d’articles critiques consacrés à ce livre… Au reste, est-ce qu’il y a encore une « critique » ? Ce qu’il y a eu, ce sont des demandes d’interviews, des projets d’adaptation (au théâtre), des lettres de lecteurs ; et le livre s’est vendu davantage que mes autres livres, du moins au départ, car je ne pense pas qu’il continuera à se vendre – contrairement à mes ouvrages antérieurs. Il s’agit donc d’un accueil «passionné» et fugace. Pourquoi ? Il y a eu surprise : on n’était pas habitué à ce qu’un intellectuel parle d’une passion et d’une «passion démodée» : romantique, sentimentale qui n’emprunte rien au prestige du sexe, de la contestation etc. »

« Le discours amoureux m’a paru solitaire non par rapport bien sûr à la masse importante des gens qui sont ou ont été amoureux mais par rapport à ce qui intéresse et à ce que disent les intellectuels d’aujourd’hui. Il se peut, en définitive, que l’accueil fait au livre soit l’indice (parmi d’autres) d’un certain changement de l’opinion à l’égard du rôle qu’on attribuait à l’intellectuel, dont on voit bien qu’il n’a plus procuration pour parler au nom de l’universel ».

« Je n’ai pas cherché à tenir sur l’amour un discours sérieux, objectif, exhaustif… Il ne faut pas oublier que c’est un amoureux qui parle – et non un savant, ni même un essayiste, il parle avec sa culture, et sa culture du moment : avec les livres que le hasard lui fait lire ou relire pendant la crise amoureuse et qui viennent «alimenter» son soliloque intérieur. Il ne se force pas à lire des livres «qu’il faudrait lire»… Ni Breton, ni Aragon par exemple. Je ne me sentais pas d’ailleurs «consoner» avec ces discours-là… »

«L’écriture est beaucoup plus exigeante que la parole : elle ne peut compenser les imperfections de l’expression par une action du corps (voix, inflexion, sourire etc). Dans l’espace de parole (celui du cours, du Séminaire), il y a un rapport amoureux diffus, un échange de séductions, de sympathies, d’appels. L’écriture, au contraire, est difficilement amoureuse : aussi, quand elle veut exprimer un amour, elle ne peut le faire qu’en renonçant tragiquement à impressionner le destinataire de cet amour : c’est là un des sens de mon livre».

Roland Barthes : populaire et contemporain (1)

« Fragments d’un Discours amoureux » de Roland Barthes paraît au printemps 1977 aux Editions du Seuil. Le succès est immédiat : 100 000 exemplaires vendus dans l’année. Le 26 mars 1980, Roland Barthes décède après s’être fait renverser par un camion. Entre temps, il avait accordé une interview à Alain Poirson du journal « L’Humanité ». L’article a un titre tout en justesse : « Populaire et contemporain à la fois ». [Extraits].

« J’ai toujours vu les systèmes de pensée comme des systèmes de langage et ces systèmes de langage comme des sortes de tableaux peints, un peu à la façon du voile brillant, coloré, imagé que le bouddhisme appelle la Maya. C’est cela la constante et, pour ainsi dire, l’obsession (…) Mon point de vue a changé, souvent pour des raisons « tactiques« , parce que, à tel moment, je pensais qu’il fallait déplacer le discours ambiant : vers 1960, le discours critique me paraissait trop impressionniste et j’ai eu envie, sur la littérature, d’un discours plus scientifique, ça a été la naissance de la sémiologie…

… Mais cette sémiologie est devenue autour de moi hyper-formaliste et j’ai eu envie d’un discours plus « affectif »; puis ce discours lui-même, sous le poids de la psychanalyse, m’a paru faire la part trop belle au « symbolique« , en traitant l’Imaginaire de « parent pauvre« ; j’ai donc voulu assumer un discours de l’Imaginaire. Il s’agit d’ajustements (…).

« Pour moi, la parole et l’écriture sont largement hétérogènes. Écrire ne consiste pas à transcrire; ça consiste à penser à même la phrase, à produire une pensée-phrase; et la « phrase« , c’est essentiellement un produit écrit, pour le meilleur et pour le pire. Aussi, quand on fait un livre, c’est un peu toute la pensée qu’il faut reprendre au départ : il faut penser de nouveau et à neuf ».

« Nous devons tous écrire plus « populaire« ; encore faut-il que ce tournant, ce changement de pratique et d’image soit vécu intérieurement, non comme un retour simpliste à des formes passéistes, mais comme une pensée nouvelle du moderne lui-même. Quoi qu’on écrive, il faut rester à l’écoute du « contemporain« .