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A propos d’«Ecritures carnassières» le livre d’Ervé.

Arrêt-bibi sur le livre d’Ervé, clochard céleste qui « taquine la rue », perdu et retrouvé, retrouvé et perdu avec pour balises essentielles la tristesse, la mélancolie, la rage contenue, deux poumons, un coeur amoureux et 147 pages.

Solitude, premier constat.

Le premier constat intime d’Ervé est rude, sans fioritures et sans pitié. « Aucune odeur paternelle. Et aucun souvenir de tendresse féminine. Comment se construire donc sur le néant ? »

Cela m’a instantanément rappelé le voyage de Françoise Dolto au Brésil où elle faisait remarquer à d’autres psys que les enfants des rues de Rio, orphelins, s’en sortaient plutôt beaucoup mieux que d’autres, ayant très tôt appris à vivre sans père ni mère. Leur trajet de Vie, dès lors sans confrontations et heurts oedipiens, leur laissait cet espace à chercher ailleurs pour ne pas mourir.

C’est donc par l’Enfance, tiroir princeps de ses souvenirs, que tout commence ici. Comme dans la chanson qu’Etienne Daho chante et qu’Ervé aime bien. «Les premiers jours de ta vie».

Premières lignes : ni dissertation, ni bavardages.

Pour emprunter ses chemins de fuite et de roublardise, Ervé a trouvé les mots… les siens. D’emblée, son écriture écarte tout chichi, rompant avec toute joliesse, fuyant les angles arrondis, les arabesques et les alibis esthétiques. Juste des notations simples et précises, beaucoup plus efficaces que de «grandes pensées». Son «Je laisse les mots courir pour moi» me rappelant un éclair de l’écrivain-chroniqueur Georges Haldas : «Ce n’est pas moi qui pense. Des pensées me traversent. Dont je suis le premier surpris». Sur sa lancée, Ervé se définit comme «scribe extérieur» mais là c’est un premier petit «mensonge» car tout lecteur découvrira qu’Ervé est, au contraire, tout présent à son écriture et que jamais, dans ses pages, il ne perdra cet essentiel contact avec soi.

Premiers moments matinaux.

Un va-et-vient, une oscillation au réveil, entre deux souffrances : celles inutiles mais présentes et celles créatrices à venir (dans un livre lointain, encore inimaginable). Et pour qu’Ervé puisse dire, puisse surmonter les seules souffrances (inutiles), le voilà qui balance ses mots en jets discontinus, en raccourcis saisissants, tous bruts de décoffrage. Mais, ne pas se méprendre, le contact d’Ervé avec soi n’est jamais un repli égoïste, maniéré, tel l’egocentrisme des écrivaillons modernes qui pullulent hélas aujourd’hui.

Une fois encore, Ervé ne disserte pas, il ne bavarde pas. Il tente de traduire le texte original de son enfance perdue, sachant, au fond de lui, que sa réécriture l’occupera toujours, bien au-delà même de son livre.

Une écriture proche de la rigueur.

Une écriture à mille lieues de la rigidité. Plutôt proche de la rigueur avec cette construction par petits chapitres multipliés (une cinquantaine), aux titres à la Burroughs, avec une multiplicité d’épisodes livrés en vrac mais pas forcément dans le désordre temporel : épisodes de rencontres, d’affrontements, temps bienfaisants de solitude, d’amitiés brèves mais intenses, souvent inexorablement perdues.

Premiers refuges.

En écho-bibi, une similitude troublante (ce ne sera pas la seule) avec la destinée d’un jeune connu en Foyer d’Enfance où je travaillais. J’avais noté dans mes carnets d’éduc : «Le désespoir dans ses yeux lors de la visite de sa mère. Ne viens plus. Ne viens plus M’man, implorait Marvin. Au départ de sa mère, il saute le mur et part à nouveau en forêt. Revient une heure après, apaisé». Un Marvin, qui, lui aussi, partait à la recherche de cet «Arbre Bleu» tout réel dans l’imaginaire d’Ervé.

Premiers baisers. Premières dettes envers un éducateur et un veilleur de nuit qui le laissent écouter la radio sous l’oreiller. Premières amitiés, celles prioritaires, obligées au Foyer (Ben, Krystof, le garçon punk…)

L’Enfance comme marque.

Ni père, ni mère. Du coup, Ervé montre sa débrouillardise – mais pas celle, consolatrice et rêvée, propre aux faux rebelles petits-bourgeois. Une débrouillardise qui a affaire avec/contre ce «tatouage permanent» dont on ne se défait jamais, tatouage signalé par ces trois flèches : «Cas social tu es, cas social tu restes. Comme gravé sur le front. Ma plaie de naissance». Un clou fiché en plein cœur et en plein corps. Donc une «débrouillardise» bien éloignée d’un détachement serein. C’est qu’Ervé est ailleurs, dans ce monde réel, arpentant ses trottoirs et ses sentiers malodorants. Ervé est à plein dans la misère, cette « Madame la Misère » que chantait Léo Ferré, cette misère, ennemi indéboulonnable qui te surplombe où que tu sois («On a beau la connaître et s’y être baigné, l’odeur de la misère reste sans nom»).

Des friches et un trio.

C’est dans ces friches que le scribe Ervé taille à la serpe. Avec ses mots comme des morsures, sous le regard canin de son Croisepattes, avec des mots qui affolent les boussoles et les compteurs. Des mots : ceux de l’Amour pour ses filles, ses deux poumons et ceux pour Claire («Je n’ai jamais su t’aimer à ta juste valeur puisque j’en suis incapable») mais (t’exagère, Ervé) c’est un Amour transfiguré, porté à incandescence, petite bougie impossible à souffler même si l’errance perdure. Non, Ervé tu n’es pas si «minable sur le sable» puisqu’elles te liront toutes trois. Trois : tes deux poumons (tes deux filles), poumons si près du cœur qu’ils (elles) sauront à te lire que, tout bringuebalant que tu es, tu tiens – malgré et envers tout – debout en paternel. Debout, bien debout et pas qu’un peu.

Et en trois, Claire autre lectrice, probablement toute aimante à ce que tu écris d’essentiel en un seul prénom, le sien. Et même plus encore, en un diminutif éclairant, incontournable pour toi : « Je t’aime Clairette… à ma façon ».

Et sache, Ervé, que tout lecteur, toute lectrice aimera assurément ton livre.

Chacun, chacune, bien entendu, à sa façon.

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ERVE. Ecritures Carnassières. Collction « A Vif ». Chez Maurice Nadeau.

BiBi retrouve Georges Brassens dans son grenier.

BiBi poursuit l’exploration de son grenier où il a retrouvé le numéro 72 de Rock et Folk (janvier 73) avec une interview de… Georges Brassens. Il n’était pas inconvenant de trouver Georges Brassens dans les pages d’un mensuel de rock (et folk). Le mélange – Brassens côtoyant ce mois-là Pink Floyd et le Roxy Music de Brian Eno – était parfaitement accepté des lecteurs. C’est Jacques Vassal, journaliste folkeux, qui menait l’interview.

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Georges Brassens avait été libertaire à une époque (vers 1945/46/47). Il écrivait d’ailleurs dans la presse anarchiste des articles extrêmement violents. Il revient sur les bifurcations qui ont suivi :

«Il se trouve que ce n’est pas dans ma nature de faire des chansons de propagande car j’ai l’impression que je ne saurais pas défendre mes idées. D’autres ont plus de talent que moi pour faire ça. La chanson, pour moi, reste surtout un art d’agrément. En dehors de l’homme social que je peux être, je suis auteur de chansons. Quand je chante, je ne suis plus le même. Mais ce sont là des explications très dures à donner et peut-être… fausses».

Jacques Vassal fait alors le parallèle avec Léo Ferré. Souvenons-nous que ce dernier avait participé à une table ronde avec Brassens et Jacques Brel et que R&F en avait eu la primeur (avec photos du regretté Jean-Pierre Leloir).

R&F : Vous avez pas mal de points communs avec Léo Ferré mais vous vous manifestement moins souvent et avec moins d’urgence que lui (…)

G. Brassens : Mon goût me pousse à écrire plus qu’à chanter et j’écris très lentement. En plus depuis quelques années, la maladie m’a souvent empêché ou retardé dans certaines activités. Ce qui fait qu’on me voit et qu’on m’entend bien plus rarement que tel ou tel autre. Cela dit, les problèmes me touchent moi aussi, bien sûr, mais j’en parle indirectement. La Chanson est pour moi une fête, un divertissement ; ça doit plaire, à moi et aux gens qui m’écoutent. Mais ce sont des sujets de toujours que je traite dans mes chansons… et là, je fais un effort pour vous donner des explications. A force de vouloir expliquer les choses, on ne fait plus rien».

Cinq ans après 1968, les esprits étaient tournés vers l’engagement politique. On n’imaginait que très difficilement qu’un artiste devait d’abord faire ce qu’il avait à faire. La tendance était de considérer prioritairement son rôle social (devenir un porte-parole activiste comme quasi-obligation). Les travaux spécifiques sur son art étaient relégués au second plan. C’est pour ça que Jacques Vassal insiste et que Brassens est un tantinet agacé.

R&F : Votre participation l’autre jour à un Gala contre la peine de mort en a surpris plus d’un… pas sur le plan des idées bien sûr mais parce qu’on vous croyait à l’écart de tout militantisme.

G.Brassens : Ce n’est pas ça ! Si par exemple demain, j’apprenais que vous êtes en prison et que j’estimais que vous n’avez pas à y être, ce ne serait pas du militantisme que d’utiliser mon influence ou ma renommée pour prendre votre défense. En fait c’est une affaire de cœur et en dehors de tout raisonnement. J’ai toujours pensé, dès l’enfance, qu’un homme n’avait pas le droit de décider de la vie d’un autre, «coupable» ou non».

R&F : «Mourir pour des idées» a fait beaucoup de bruit…

G.Brassens : Je ne m’occupe absolument pas des réactions : la Chanson est l’art que je place avant tous les autres, et cela me fait toujours plaisir d’écrire des chansons. Dans le temps, on imprimait les chansons sur des «petits formats», des feuilles séparées que l’on distribuait aux gens dans la rue. Après, ils pouvaient les rechanter eux-mêmes (…). Certains peuvent penser que je suis un chanteur rétrograde. En fait, j’essaye de rester dans la lignée des chanteurs traditionnels.

Le seul passage de l’interview sur le travail musical de Brassens n’interviendra qu’à la fin :

R&F : Vous n’avez pas eu envie d’ajouter d’autres instruments à vos accompagnements habituels ?

G.Brassens : Non, je pense qu’avec ma guitare et une contrebasse, mettons une deuxième guitare pour les disques, c’est bien suffisant comme ça. Pour moi, la musique n’est qu’un support à mes textes ; s’il y a davantage d’instruments, cela gênerait la bonne compréhension des paroles…

Nous sommes en 1973. Brassens décèdera le 29 octobre 1981. Immortel Brassens.

Le Karaoké de la Présidence Sarkozy.


BiBi voulait rendre hommage à Léo Ferré et à sa rage. Il a choisi un arrangement jazzy de haute qualité sur « Les Temps sont difficiles ». Morceau de choix qui allie musique subtile et paroles percutantes . BiBi s’est… arrangé pour tenter d’en trouver d’aussi incisives que celles du poète-musicien.

C’est tout naturellement qu’il a intitulé son clip « Le Karaoké du Président Sarkozy ». Il y a mille façons de lutter contre ce gouvernement qui met la France et les Français à genoux. En voilà une : ce clip qui relève la tête.

1. En garde à vue on n’s’ennuie pas / Faut savoir garder son sang froid /Et si tu veux un peu de chaleur /On t’attachera au radiateur / Les Flics sont bien utiles.

2. Attention y a plein d’pognon / Dans la basse cour des Courtisans /T’as Sarko Cocorico /Et les p’tits euros de Proglio / Leurs rangs sont si dociles.

3. Pour faire face à la Vérité / J’ai poussé jusqu’à la Télé /Où l’on m’a dit : Vous d’mandez qui ? / La Vérité ? C’est pas ici / Les Temps sont difficiles  /( Couplet de Léo Ferré)

4. Si t’es Jean le fils du Président / T’auras aucun souci d’argent / Qu’tu sois magasinier chez Darty/Ou bien au chaud chez Balkany /Les Temps te seront faciles.

5. Carla vit un conte de fée /Nicolas s’pavane à l’Elysée /Qu’tu sois Cendrillon ou P’tit Poucet / Attention à l’Ogre au fond d’la forêt /Les Temps sont difficiles.

6. Ou Biolay ou la Belle Carla /Y’a pas d’raison qu’on chante pas ça /Mets donc d’la came dans tes chansons/ ça f’ra baver tous les couillons/ Les Temps sont si futiles.

7. Eric Zemmour est un zéro/ V’la qu’il s’prend pour Zorro/ Mais c’est qu’un p’tit héros de chez Dassault/ A juste bouffer au Figaro / Les Temps sont pas faciles.

8. Si t’en as marre de Sarkozy / De Balkany ou d’Estrosi /Avant de sauter dans ton lit ( Pour t’marrer avec tes z’amis) / T’as qu’à lire les Pensées d’BiBi / Leur lecture est si facile ( ou La vie te sera facile).

Vivre avec les Citations (1).

Citation Tombe de Yeats

Pourquoi s’interdire de citer ? Une citation est beaucoup mieux qu’un plagiat puisque, très souvent, le plagiat, la reformulation sont moins décisifs. La citation : on relève celle-ci car elle nous a frappés par son extrême justesse et par son entière ouverture au Monde. Elle dit beaucoup mieux que ce qu’on aurait aimé dire. Elle emporte notre adhésion et nous met à l’épreuve jusque dans les coins d’ombre de notre personnalité. Nous ne savons pourquoi nous l’avons retenue, recopiée, lue et relue. Cousine de l’aphorisme, elle peut être mystérieuse, poétique, incompréhensible ou bien informative, très lisible. On note les citations, on les répertorie dans un carnet, dans un cahier, dans un dossier d’ordinateur. Par contre, on les retient peu par cœur, la difficulté venant que chaque mot compte.

Parfois, on ne comprend les citations que 20 ans après les avoir notées. Elles sont sur nos bas-côtés ou en plein cœur de nos nuits. Sur nos vagues à l’âme, elles sont nos phares, elles disent non le chemin mais l’existence d’un chemin. Elles se ferment comme un couperet mais avec la douceur d’une caresse. Elles sont vénéneuses sous des dehors de banalité. Elles nous hantent. Chacun d’entre nous a sa cartographie intime de citations et il les porte – même sans le savoir. Chacun est reconnaissant aux hommes et aux femmes qui ont su cultiver nos espaces mentaux et faire revivre nos jachères intérieures.
Aujourd’hui, BiBi a redécouvert celle-ci, de Gilles Deleuze. Où et quand l’a-t-il péchée ? Il ne sait plus mais elle est là, elle résiste et elle l’emporte mais son adhésion est paradoxale. « Qu’est-ce qu’une pensée qui ne fait de mal à personne, ni à celui qui pense ni aux autres ?». BiBi se dit alors qu’il lui faut se méfier de ses raisonnements hâtifs, de son imagination aussi car il a tout faux s’il confond le «mal» avec la «méchanceté». Ce Mal qui fait du bien, comme le chantait Léo Ferré.

La citation n’est pas non plus très éloignée du relevé. Celui-ci, péché dans le journal Le Monde de début septembre 2007. Le journal avait publié des chiffres sur la Délinquance des élites : «En 2005, sur 3,8 millions de condamnations pénales, il y en a eu environ 18000 en matière économique, soit 0,5% se répartissant à peu près pour moitié entre 1. infractions à la législation du travail et 2. délits économiques et financiers. En outre, 80% des peines infligées se réduisaient à un emprisonnement avec sursis ou à une simple amende».
Ou encore, tirée du livre de Denis Salas («La volonté de punir» Hachette) : «En haut, les élites disposent de moyens (avocats, experts du risque pénal), de stratégies de défense médiatique (fondées sur des réseaux d’amitié) et des ressources de la procédure pénale, ce qui place des boucliers procéduraux entre les juges et les puissants prévenus ; en bas, pour les délinquants ordinaires (sauf d’urgence), ni avocats (faute de moyens financiers), ni médias (sauf pour attiser le sentiment d’insécurité)».(…)

Douce Carla et gentil Mimi.

Carla-Mimi.

Quand BiBi détaille l’ensemble du Plan-Com Carla-Mimi, il est admiratif devant le fil rouge de cette Opération. De l’avant « Vivement-Dimanche » à l’interview long d’une heure de grande écoute sur France 2, BiBi a remarqué cette constante : l’extraordinaire modestie du Duo Intervieweur/Interviewée. Peu d’effets d’annonce, pas de campagne publicitaire ostentatoire et envahissante, une mise à l’écart des grands journaux people et des quotidiens trop connus, pas de racolage tapageur et bruyant pour ameuter le petit peuple devant la télé, juste un retrait calculé qui fait écho à un des traits de caractère partagé à la fois par Carla et par Michel : la discrétion.