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ELLE ME DISAIT… (22)

Disait 22

«Ce que je sais, c’est que, pour rester vivant au milieu du bûcher, être fidèle au feu qui m’embrase, c’est que, pour toucher au centre de gravité de la lectrice que tu es, mes phrases ont besoin simultanément de ta tendresse et de mon désespoir. En réciproque aussi. Sous l’écroulement de notre prime jeunesse, gardons plus que jamais des forces vives, des pierres brûlantes, des cendres chaudes. Mystère, Beauté de nos Vies à reconstruire, à remettre en partage».

J’aurais voulu lui envoyer ce petit texte. Mais toute cette histoire n’est qu’une histoire toute d’inventions. Invention de toutes pièces que ces marches du bord de mer, ces longues parties de volley, invention que ces arrêts sur le sable, cette montée au sommet des dunes, ces paroles à la sauvette, invention toutes ces biffures régulières sur les pages et rêve, rêve, rêve que cet Incipit impossible, Elle me disait.

De l’esbroufe pour se donner le change et mettre un pied devant l’autre, de l’esbroufe pour sortir indemne des pesantes nuits noires et repasser une fois de plus à la lumière du petit matin. Des inventions, de l’esbroufe qui nous pousse à remettre ça encore et encore, jour après jour. Restent – dérisoires – ces apostrophes, cette multitude de lignes zébrées. D’où viennent-elles ? D’où viennent-elles ? D’où sortent-elles ? Qui les envoie et qui les dépose ?

*

« Elle me disait… » (21)

laura_osswald 21

Elle ne me répond plus. Elle a surement dévalé sa dune. Elle est passée de l’autre côté, a probablement tourné la page et poursuivi sa route. De mon côté, je n’ai rien trouvé d’autre. Rien d’autre que ses propos incisifs d’antan consignés, répertoriés dans mes carnets. Je crois que ce sera tout.

Mais devant son insupportable silence, (elle s’est évanouie, elle s’est définitivement effacée, pas de doute), m’est advenu une idée un peu folle, une idée pour me donner le change, pour continuer de rêver aux bords de mer que nous longions, aux sables piétinés de bon matin sur cette plage océanique.

Rêver encore. Continuer de rêver. Prolonger ce rêve avec cette seule idée d’écrire à mon tour, en inventant ce qu’elle aurait pu dire, ce qu’elle aurait pu me dire.

Hier pendant nos marches du littoral.

Aujourd’hui en sa compagnie jusqu’au sommet de sa dune.

Elle me parle toujours. Dans le vent sifflant, sur mon écran muet, elle continue de me dire. Même partie, elle n’arrêtera jamais. Concentré, toujours sous sa dictée. J’écris, j’écris, je reste son scribe. Aucun doute : ça ne s’arrêtera jamais.

*

Elle me disait… (20)

chadwicktyler

Si je devais faire tout un livre de notre histoire, j’inscrirais ce qui suit dans une seconde partie. Finis les souvenirs que je consignais laborieusement dans mes carnets. Bien éloignés ces temps passés partagés entre la mer, les hautes herbes, les cabanons loués où nous dormions, les repas de nos familles, les parties de volley.

Nous entamerions un second chapitre.

Car Elle est revenue, revenue par le biais des écrans et des emails. Nous voilà de nouveau en plein présent avec un blanc, un silence de quinze années derrière nous. Rien n’est écrit et les rassurantes notes que j’ai prises et reprises dans mes carnets, ces aphorismes retranscrits à grand-peine sont désormais chapitre clos. Tout, tout devient absolument nouveau. Qui est-Elle aujourd’hui ? Je ne sais. Que fait-Elle ? Une première réponse emailisée est là, sur mon écran : Elle court, Elle court, Elle monte aux dunes.

«Elle me disait…» (19).

ELLE ME DISAIT dessin

«J’écris. A contrecœur. Mais j’écris». A la suite de ce premier élan électronique, elle me promit un second mail. Il est arrivé. Déroutant, si déroutant, son contenu.

Elle me répète qu’elle écrit toujours. Et toujours à contrecœur. Elle a rassemblé tout un florilège de petites phrases, répétant qu’Elle est heureuse – «mais ce mot, je l’ai déjà oublié» – heureuse que j’en sois le destinataire. Cela ne suffit pourtant pas à expliquer ma sidération. Elle a pris le soin de m’avertir : «Lis ce «fatras» sans arrière-pensées, fonce tête baissée dans ces lignes, laisse-toi bercer par chacune d’elle. Ou abandonne-les derechef s’il le faut. Je fais confiance à ton accueil de lecteur». Mais le point de départ de mon ébahissement ne réside toujours pas là.

Elle me disait… (18).

Elle me disait 18

Cette fois-ci, elle n’a pas parlé. Elle m’a envoyé ce mail énigmatique : «J’écris. A contrecœur. Mais j’écris». Bien sur, j’attends la suite pour savoir ce qu’elle écrira. De la poésie ? De la prose, du roman ? Des nouvelles ? Ou tout ça à la fois ? Et lorsque je la reverrais que pourrait-elle désormais me dire ? Parlera t-elle encore ? Me donnera t-elle à lire ce qu’elle ne dira plus ?

De mon côté, lui avouerai-je que j’ai consigné – depuis de si longues années – ses paroles ? Que j’ai noté scrupuleusement le moindre de ses propos ? Que j’ai vécu – aussi longtemps que je m’en souvienne – à l’ombre de ses phrases ? Et si, avec un incertain courage, j’ose les lui donner à lire, les reconnaîtra t-elle comme siennes ? Il est probable alors qu’elle viendra me dire «Mais non, tout cela, est de toi», «Tout cela t’appartient».

Mais non, non, elle ne le dira pas car elle sait très bien que dans le Royaume de l’écriture, il y a dépossession continuelle, que la propriété c’est du vol, qu’on n’y est pour pas grand-chose, que chaque écrivant n’y est pour presque personne. Elle sait depuis toujours qu’en écrivant, chacun a chapardé à droite et à gauche, a picoré sans autorisation, a braqué des banques, que chacun a pillé sans vergogne, a truandé, copié, fait du chantage, s’est avancé masqué et sans scrupules. Voleurs, voleurs que nous sommes tous depuis le premier mot jusqu’à notre dernier.

«J’écris. A contrecœur. Mais j’écris». Son mail inaugure une nouvelle étape, s’ouvre vers de nouveaux chemins. Elle a choisi d’écrire. A contrecœur. 

Jusqu’ici, je faisais le scribe. Aujourd’hui, elle écrit. Elle ne me dira plus rien.

Que vais-je devenir ?