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Frères de langue (Kafka, Beckett, Cioran).

« Tu m’interroges sur mes maux et sur mes élancements : pas d’inquiétude ! Les aiguilles dans ma tête sont aiguisements de mes pensées, aiguillons dans mon phrasé.

La Maladie de la Lecture m’a rendu, me rendra la Santé resplendissante. Les souvenirs sur les livres ont resurgi à vitesse grand V. Les brûlures et les baumes avec. J’ai repris Kafka quelque trente ans après. Comme au premier jour : peur, effroi devant les déplacements incongrus de Grégoire Samsa, devant le sifflement de sa Souris, les postillons de la toux de son Singe. Et que dire de l’écrivain pragois, en fin de vie,ventriloque au Sanatorium de Kierling et soutenu par Dora Dyamant, s’émerveillant tous deux d’une plante buvant son eau ?

Il est des Oeuvres de destin qui font bouteille d’oxygène. Des livres par lesquels on respire. Pas besoin de savoir qui, comment, pourquoi. On branche le premier mot et c’est instantanément la Vraie Vie qui s’installe et nous envahit. En refermant tel livre, nous voilà désemparés, incrédules, cherchant à nouveau un second souffle.

Je relis les Irlandais ce début de semaine. James Joyce, presque juif, est Terre promise à lui tout seul. Samuel Beckett, lui, écorche jusqu’au sang la chair des mots français. Tous deux invités de la Langue française (comme Cioran) – sans égards pour leur Mère d’adoption.

Diaboliques, eux aussi, en toute innocence. Ils volent les bébés dans les berceaux.

Ils sont mes frères de langue».

Photographie de Cioran par Marc Trivier, E.M. Cioran, Paris, 1983.