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21 ans déjà : le N°1 de L’Autre Journal.

L’Autre Journal : mai 1990.

On ouvrait avec une joie à peine contenue la page 1 sur l’éditorial de lancement du Mensuel. Michel Butel y écrivait : «Avec peu de tremblements, une voix dit la nouvelle phrase générale et la nouvelle phrase intime. Et elle écrit ce journal. Mais qui parle ? Et que dit cette voix ? Et ici, qu’est-ce qui est écrit ?»

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On était quelques-uns à se réjouir de cette voix nouvelle, multiple, aux écrivants de qualité. Il faut croire que dans la Jungle du Marché, cela ne fut pas suffisant. Le Numéro Un comptait 355 pages. Peu de pub. Des billets très denses, très informés. Des Contes. Des chroniques. Une page débat. Celle, 110, où on peut lire les réflexions lucides ô combien de Gilles Deleuze sur 4 pages : Les Sociétés de Contrôle.

«On nous apprend que les entreprises ont une âme, ce qui est bien la la nouvelle la plus terrifiante du monde. Le marketing est l’instrument du nouveau contrôle social et forme la nouvelle race impudente de nos maîtres. Le contrôle est à court terme et à rotation rapide, mais aussi continu et illimité, tandis que la discipline était de longue durée, infinie, discontinue. L’homme n’est plus l’homme enfermé, mais l’homme endetté. Il est vrai que le capitalisme a gardé pour constante l’extrême misère des trois-quarts de l’humanité, trop pauvres pour la dette, trop nombreux pour l’enfermement : le contrôle n’aura pas seulement à affronter les dissipations de frontières, mais les explosions de bidonvilles et de ghettos».

Rien que par cet extrait, on était heureux de débourser 30 francs par mois.

Innombrables étaient les rubriques : Enquête/Dossier/Entretien/Vies (à Tchernobyl)/Affiche/Mémoire/Destin/Voix/Œuvres (avec des dessins et une longue conversation avec Fellini, un article sur le premier amour de Van Gogh)/Almanach/Lieux (sur l’OM)/Lecteurs/Pêle-Mêle/Epilogue.

Et aussi cette phrase terrible de Lioubov Kovalevskaïa, journaliste soviétique, irradiée à Tchernobyl, témoin condamnée qui avait prédit, un mois avant, la Catastrophe nucléaire. Lioubov, privée de tout moment amical et convivial… Elle parlait de sa vie d’autrefois mais tout avait changé, tout avait basculé après le désastre nucléaire de mai 1986  (Article de Basile Karlinski ici).  :

«Où aller ? Tous mes amis en ville avaient des enfants pour qui la poussière radioactive dont j’étais couverte était dangereuse».

Une fois la relecture du Mensuel achevée, on se surprend à fredonner, un peu désabusé : «Que sont mes Journaux devenus /Ceux que j’avais de si près tenus ?»

Aujourd’hui, on a Politis, mince comme une feuille de papier à cigarettes, on parcourt les Inrocks avec indifférence, on lit La Décroissance, le Sarkophage en une heure, on cherche des pépites dans un  Zélium bien lourd.

Et on reste sur sa faim – attendant sans trop y croire – un Autre Journal.