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Les Voyages de BiBi à Bicêtre.

Sans le chercher, BiBi a fait une découverte majeure sur ses Origines. Sur le site de Feuilles d’Automne, il est tombé sur l’explication toute historique du mot «BiBi» avec cette spectaculaire criée : «Tous à BiBi»

«A BiBi !» se révèle être l’expression équivalente à : «A Charenton !» (ou au Vinatier pour les Lyonnais !). BiBi est, selon Eugène Boutmy auteur du Dictionnaire de l’argot des typographes (1883), l’abréviation de Bicêtre, asile d’aliénés pour les fous qui ne peuvent payer de pension. On envoie à BiBi ceux dont les pallas sont ou paraissent insensés. Précision supplémentaire qui ravira BiBi : le pallas est un ancien mot d’argot désignant des propos assommants ou des discours lénifiants.

Autre découverte dans les commentaires de cette Feuille d’Automne :
«Il s’agit de La Muse à Bibi d’André Gill, caricaturiste, hydropathe, membre du Chat Noir, illustrateur etc. et qui finit sa vie traversé par des crises de folie qui l’amèneront à Charenton (…) Je ne connais de Gill que ses caricatures et que la correspondance (et mémoires) parue en 2006 et qui est un témoignage intéressant sur l’époque et ses milieux littéraires».

Merci donc à ceux qui supportent depuis bientôt trois ans les pallas du Blog à BiBi et un grand bibi à toutes les Muses à BiBi !

Signalons encore ces deux extraits du livre d’Arlette Farge dans son Essai pour une histoire des Voix (Editions Bayard et article-BiBi).

1. Le premier parle d’un nettoyage au karcher :

«Les cris venant de prisons sont fréquents : à Paris (en 1756), le château de Bicêtre fut le lieu de graves émeutes, précédées de longues journées de «cris de fureur» entendus derrière les murs. Les gardes et officiers étouffaient ces cris et ces révoltes, pistolet à la main, obligeant chacun à être «enserré dans les souterrains» (p.162).

2. Le second extrait nous éclaire sur les mœurs aristocratiques de l’époque :

«Au 18ième siècle, on avait grand goût de la promenade, et celle qui allait vers l’hôpital Bicêtre pour assister au spectacle des grands insensés demeura jusqu’à la Révolution » (p.183).

L’Inconscient emprunte donc des voies originales et jamais véritablement tracées. Quelque chose se lève et se révèle dans l’après-coup. BiBi pourrait presque rappeler ici son double aphorisme : «C’est parfois dans le grain de la voix que s’ouvre la graine de la Vie» et «C’est toujours dans le germe de la Vie que pousse un grain de Folie»

Plus prégnante et intense sera cette intervention de Gilles Deleuze retrouvée sur You Tube. Il s’agit de son Abécédaire (lettre G comme Gauche). Ayons l’oreille fine pour écouter les pallas du Philosophe à propos de ceux qu’il recherchait et aimait : personnes oscillant entre Graine de Crapule et Grain de Folie, personnes dont l’intérêt essentiel réside dans leurs points de démence :

Deux livres, une interview et les 4 mots de l’Etranger.

1. Ces Mots qu’on dit  «importants » et qui le sont… (Interview d’Arlette Farge à Nouveaux Regards. Juillet/Sept 2005) :

«On a pu parfois se féliciter qu’il n’y ait plus d’intellectuels en France, se réjouir de la mort du Père, signes d’une liberté retrouvée. Mais il faut bien constater qu’à force d’être libres et indépendants de cette manière nous sommes devenus orphelins… J’ai pris lentement conscience de la volonté constante de réfléchir à l’utilisation des mots (…). Peu à peu, je me suis aperçue que mes étudiants sursautaient lorsque j’utilisais des termes comme  «domination», «travailleurs», pour ne rien dire de l’emploi de la notion de «lutte des classes». Ce qui m’a incitée à proposer un séminaire sur ces mots, sur leur histoire, leur emploi, leur trajectoire ou leur disparition, leur euphémisation également.
Mais les réactions de la jeune génération ne font que refléter les reniements de la génération précédente. Les engagements politiques, les appartenances militantes ont été oubliés au profit d’un intérêt pour une douce Europe et la déclinaison d’une pensée «molle» inhabitée par les mots que l’on veut anciens et par la compagnie des êtres humains.
Dans le cadre de la recherche universitaire, de nouveaux termes sont promus pour décrire des réalités sociales sans aucun souci pour la pensée et les stratégies des gens eux-mêmes. Ces stratégies discursives et ces effets de nomination sont assez puissants et visent à disqualifier ou à faire disparaître des acteurs sociaux. On nomme des situations en les euphémisant pour faire advenir des concepts sans aspérité qui gomment le réel».

2. Ces évidences qu’il faut imposer contre les idées reçues du Grand Kapital (Frédéric Lordon. Jusqu’à quand ? Éditions Raisons d’Agir, p. 49):

«Providentiel Kerviel ! De la Société Générale, on aurait pu conter l’histoire de son ralliement au modèle de la banque de marché, faire l’analyse des forces structurelles qui ont distordu ses comportements, mais non : le «voyou» – qui ne fait jamais qu’exprimer à sa manière l’essence du système – portera tout. Le département Banque de Financement et d’Investissement de la Société Générale dégageait 700 millions d’euros de profit en 1999, il en donne 2,3 milliards en 2006 et contribue à lui seul à la moitié du résultat total de la banque, n’y aurait-il pas d’intéressantes choses à dire à ce sujet ?»

3. Cette sensation finement analysée par J.B. Pontalis (Dans « Les Marges du Jour » Gallimard, p.52) et qui traverse ceux qui, dans la France, se lèvent tôt.

Le saut :

« Au saut du lit : ce saut qui – brutalement – c’est pourquoi j’en diffère le moment en prolongeant le demi-sommeil qui me permettra une transition plus douce – nous précipite hors de l’espace du dedans et du hors-temps pour nous projeter dans le monde extérieur.

Quand, douché («moi-peau ») – jet d’eau chaude puis froide, la seule opposition binaire que j’apprécie !- et soigneusement vêtu («moi social»), je traverse la cour de l’immeuble, ouvre la porte cochère, je suis saisi par le bruit, me sens attaqué par la violence de ce bruit, moteurs des voitures, pétarades des motos, marteaux-piqueurs, bétonneuses sur le chantier voisin, je retrouve, accentuée, la même impression d’une coupure entre deux mondes antagonistes ».

4. Les quatre mots de l’Étranger.

L’Etranger, le livre d’Albert Camus, est resté un des plus importants « Livres de Vie » de BiBi. Le destin de Meursault, le héros, a frappé son Imaginaire dès son entrée en lecture. L’incipit de la fiction de l’Algérois de Lourmarin – les 4 mots du début du roman – frappe aujourd’hui BiBi dans le Réel. Quatre premiers mots qui portent son deuil :  » Aujourd’hui, Maman est morte« .

Les Flèches pipolitiques de BiBi.

1. Mauvaises odeurs.

Titre du Figaro (26 octobre) : «Berlusconi affronte une nouvelle guerre des ordures». Toujours là, Silvio : les ordures durent.

2. Cool Balkany, coule.
Balkany a promis aux Seniors de Levallois une promenade gratuite en bateau-mouche. Il continue de mener ses électeurs en bateau. Sa devise : Fluctuat nec mergitur ( Traduction de la devise parisienne : « Il flotte mais ne sombre pas« ).

3. Petit suisse.
Trouvés dans le courrier des lecteurs de la Tribune de Genève (28 octobre), les propos d’un certain Jean-Marc Mooser : «Les mesures d’assainissement du Président Sarkozy sont nécessaires et même vitales : je dirais aux amis français qu’il y a un temps pour manifester mais ce n’est manifestement pas le moment». Seul hic manifeste, cher Jean-Marc : BiBi n’est pas de tes amis.

4. Femmes A Fric.
Sur les conseils d’Anne Méaux, Leila Ben Ali, la femme du grand Chef tunisien, accueille le Congrès de l’ «Organisation de la Femme Arabe». L’OFA en est à son troisième congrès avec, pour thème cette fois-ci : «La Femme arabe et le Développement durable». Il est probable qu’on y verra Yasmine Besson, la femme d’Eric, résidente de Marsa (le Saint Trop’ tunisien). Viendra t-elle parler de son mariage qui ne ferait pas que des heureux dans la famille ? Nous dira t-elle si son Union est sur la voie d’un «développement durable» ?

5. Maison close.
La création de «La Maison de l’Histoire de France», voulue par Chouchou pour redorer son blason auprès des Intellectuels de renom, rencontre une belle résistance. Les historiens comme Arlette Farge, Roger Chartier, Le Goff dénoncent cette opération. «Cette Maison a tout d’une Maison close» lâche Arlette Farge. Il ne reste plus à Sarko qu’à la fermer.

6. Saint-Raphaël !
Il ne s’en vante pas mais Raphaël Enthoven, philosophe, ennemi des blogs et bloggeurs, vient de faire une entrée triomphale dans le «Who’s Who», cette Bible qui célèbre le Ghetto du Gotha ! Félicitons notre bon Raphaël, animateur des «Chemins de la Connaissance», embarqué cette fois-ci sur… les chemins de la Reconnaissance ! A quand la Légion d’Honneur remise par Woerth ?

7. Les singeries de Sophie.
Sophie Marceau clame tout son amour pour Christophe Lambert dans Paris-Match : «Pour lui, je veux bien devenir une guenon». Quel dommage que la Star, supportrice de Sarko, n’imite pas son homonyme silencieux : le Mime Marceau.

8. Cartier de Deauville.
Bernard Fornas, PDG de Cartier International, a fait une grande partie de sa carrière chez Jean-Pierre Guerlain pour qui il a lancé le parfum Samsara. Récemment, Bernard a récompensé deux femmes noires (Birame Sock, américaine et Ann Kihengu, tanzanienne) au Women’s Forum de Deauville en ces termes : «Un moment vrai : ça me touche le cœur. Elles ont la rage de vaincre et de réussir». De méchantes langues (pas du tout celle de BiBi) disent qu’il aurait pu déclarer : «Pour une fois, vous vous êtes mises à travailler comme des négresses. Je ne sais pas si les négresses ont toujours tellement travaillé, m’enfin…».

9. Señor Soubie.
Raymond Soubie, 70 ans, ne prendra pas sa retraite. Il s’est réservé une place de choix chez ALIXIO et au Conseil Économique, Social et Environnemental (5000 euros net mensuels). Il a placé ses amis (Hervé Marseille, Yves Urieka, Patrick Bernasconi). Beau travail, Raymond ! Toujours grand Seigneur, le Señor Soubie !

10. Flèche de Cœur.

Innombrables sont les blogs et sites qui nous parlent de la Littérature comme refuge hors-temps. Le Site, «La Main de Singe», lui, garde les mains dans le cambouis et en tire des pépites (par exemple sur Gombrowicz). Patte velue, paume calleuse, Louis-Watt Owen tient son blog de main de maître. Son blog mérite vraiment un bon coup de main. «La Main de Singe» : un site au poil.


Ouvrir l’œil, tendre l’oreille.

Arlette Farge

Lecture croisée de BiBi pris entre l’homme de théâtre Valère Novarina et l’historienne Arlette Farge. Drôle de tumulte à leur lecture…

BiBi avait à peine fini le dernier livre de l’historienne Arlette Farge («Essai pour une histoire des Voix au 18ième siècle» chez Bayard) qu’il a tiré de ses étagères le Dictionnaire du Chablaisien du Docteur André Depraz. Celui-ci y a repris les mots qui courent dans les montagnes hautes savoyardes (en 30 chapitres).

Ce dictionnaire s’ouvre par une étincelante préface de Valère Novarina : «Nous avons le même mot entendre pour désigner à la fois ce qui est de l’ouïe et ce qui est de l’intelligence ; cela signifie bien que la pensée écoute et qu’elle va toujours au plus près de la chair des mots ; c’est ce qui la distingue de l’idée, de l’opinion : l’opinion suit une idée, elle est toujours univoque, plate, machinale et sans volume, sans paradoxe et sans croisée – et c’est ainsi, aux normes, commode à emballer et propre à la pasteurisation qu’elle s’exprime, se monnaie, se répète et se vend ; alors que la pensée respire, entend, va creuser avec les mots, court dans la langue même, va jusqu’à se perdre et invite au voyage ».

Avec Arlette Farge – à qui, en des temps plus anciens, BiBi avait écrit au sujet des Possédées de Morzine – on part en voyage avec un guide exceptionnel. On traverse le 18ième dans le tumulte. Ici, des murmures et grondements critiques, là des propos dits blasphématoires (contre Dieu, contre le Roi), ailleurs toujours ce bruit persistant des voix populaires, l’éloge de la conversation, les cris des possédés de Bicêtre, les babils des enfants, les cris publics non confondus avec la clameur publique, la reprise des rapports -tout en voix – entre hommes et femmes «agacées».

On reste en arrêt sur les magnifiques pages du chapitre 4 qui font passer le «souffle des passions souffrantes» (voix des plus faibles, des prisonniers, des aliénés). Arlette Farge creuse là en profondeur et donne à entendre… grâce à un travail magistral sur archives (y sont rappelées au passage les infinies mais vivantes précautions méthodologiques).

Il y a là, en condensé, toutes les difficultés de la recherche historique et tout le courage d’Arlette Farge. Jamais impuissante face aux preuves bien ténues, Arlette Farge veut «dire le malheur» pour lui faire rendre gorge. Elle met sa voix d’historienne singulière au service des Sans Voix. Pas seule pourtant, puisqu’elle se retrouve dans le sillage de Geneviève Bollème (BiBi avait lu de celle-ci une captivante étude sur Flaubert), de Michel Foucault et de Roger Chartier.

Une fois de plus, Arlette Farge a émerveillé BiBi, du Goût de l’Archive à ce petit livre sur Watteau ( Magistral «Fatigues de la Guerre»), du Cordonnier de Tel-Aviv à la Fracture sociale. BiBi ne saurait terminer ses propos laudateurs sans rappeler la magnifique intervention de l’historienne dans un article mis en ligne (« Les plus pauvres portent des écrits sur eux »)»

Scènes de la Vie parisienne.

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BiBi a passé ses derniers jours d’Octobre à Paris. Les Parisiens ne l’ont pas laissés sans voix.

1. On avait choisi un steak au poivre et un lapin aux pruneaux. Il a écouté, pris la commande pour deux. Il est revenu avec deux steaks au poivre. On lui a fait remarquer son erreur. Il a repris le steak puis est revenu quelques minutes plus tard en glissant le lapin sur notre table, toujours en silence. Il n’a pas plus dit un mot avant que pendant ou qu’après. Le Silence comme gouffre, le Silence comme Solitude des Êtres. «Serveurs» : anagramme quasi-parfait de Rêveurs.

2. BiBi est assis à côté d’un vieux bonhomme, la soixantaine. Le wagon est à moitié plein. Dans le dos de BiBi, on entend une vague voix d’origine roumaine qui lâche quelques mots incompréhensibles. Nous parvient tout aussitôt le son d’un trombone qui joue «Padam Padam» d’Edith Piaf. Le voisin de BiBi replie son journal à la hâte. Il maugrée : «Des Roumains, des Roumains». Il se lève, se poste à la portière : «ça pue, il faut sortir le lance-flammes» dit-il en sautant aussi sec sur le quai. C’est la France du FN qui a voté Sarkozy.

3. Fontaine Saint-Michel : il a acheté une rose rouge et il la préserve sous son imperméable marron clair. Il attend. Il est surpris par celle, toute timide, qui vient à sa rencontre. Elle laisse échapper son pseudo. Ils se sont contactés via MSN. Ils se reconnaissent peu à peu. Ils s’en vont chercher un restaurant en remontant Saint-Michel. Il ne lui a pas encore montré sa rose. BiBi se demande à quel moment il la lui offrira.

4. Il a la trentaine, perd déjà ses cheveux. On ne peut pas le rater : il est debout, adossé à la barre des strapontins. Les stations de métro défilent. Il parle à haute voix dans son portable. Il est question de son beau-frère et de sa sœur en banlieue qui l’invitent ce samedi. Sa femme, au bout du fil, ne sera pas de la partie. Il demande des nouvelles de ses enfants, ils parlent bricolage dans l’appartement. Tout le monde écoute sans que quiconque ne proteste contre cette intimité exhibée. Pourquoi n’est-ce insupportable qu’aux seules oreilles de BiBi ? L’Inconnu a éteint enfin son portable. Tout le monde a écouté sa conversation mais lui, il n’entend personne, il ne veut entendre personne. Il a sorti ses deux boules de Ipod et se les est fourguées dans ses oreilles. Emmerder le monde avec ses histoires mais… mépris le plus complet pour le reste du Monde et ses murmures.

5. Dans la coquille Saint-Jacques de Beaubourg, un amuseur public jongle sur un vélocipède avec trois torches en feu. Les enfants rient, ont peur, reviennent, s’approchent, s’éloignent. BiBi a même vu de grandes personnes rire.

 6. BiBi a commencé le livre d’Arlette Farge, son essai pour une Histoire des Voix au dix-huitième siècle chez Bayard. Aujourd’hui, ce n’est plus l’oralité qui domine dans la rue, dans les couloirs du métro, dans les Parcs de la Capitale mais plutôt la lecture silencieuse, les écrits, le regard sur les journaux gratuits (Métro, Direct 8). La brutalité verbale du chômeur psalmodiant sa détresse est perçue comme un dérangement intolérable. Au 18e comme au 21eme siècle, le Peuple d’En-bas n’a pas la légèreté et l’élégance du Monde au Langage cultivé. Arlette Farge est du côté des Sans Voix. BiBi aussi.

7. Trois jolies japonaises sur les Champs Elysées : la première se précipite sur BiBi en le pointant du doigt. Elle hurle de plaisir. Mais au lieu de s’arrêter, elle le dépasse, toujours en criant de joie. Les deux autres se précipitent aussitôt… en dépassant BiBi. En se retournant, BiBi s’aperçoit qu’elles sont heureuses d’avoir trouvé derrière lui l’enseigne grandiose et lumineuse de… Louis Vuitton. Et dire que BiBi a cru – pendant un moment – que l’affaire était dans le sac !

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