Billet de rien, billet de vaurien.

Rectangle blanc

Il fallait que ça arrive. Une voix est venue me chuchoter à l’oreille : «Toi qui as toujours quelque chose à dire sur tout, il faudrait que tu écrives un billet sur rien». A la façon de Flaubert qui, lui, avait vu plus grand, espérant écrire «un livre sur rien». Entendu, ce sera un billet sur rien. Billet de rien, billet de vaurien.

Pour encadrer mon billet, j’ai cherché – comme à chaque fois – une image, un cliché bien singulier. Avant que l’internaute n’entame sa lecture, je mets habituellement une photographie qui introduit mon thème. Pour ce billet sur rien, je verrai bien un rectangle délimité par un fin trait noir et à l’intérieur, rien, rien que du blanc. Ou à l’inverse, un liseré blanc encadrant un rectangle noir. Au plus près du rien.

Ensuite je tenterai d’expliquer avec un minimum de mots qu’il n’y a rien à lire, rien qui justifierait la poursuite d’une lecture. Mais je suis sur que des malintentionnés me rappelleraient les propos de Raymond Devos : «Rien + rien + rien, ça ne fait pas rien, ça fait trois fois rien et trois fois rien, c’est déjà quelque chose». Imiter Devos ? Bah, se revendiquer de cette filiation, ce ne serait pas si mal sauf que… sauf que je m’égare, je ne veux parler ni de Devos ni de Flaubert, pas même faire un plagiat, je veux juste que mon billet ressemble à rien, que je sois, comme qui dirait, une sorte de peintre déballant son attirail et qui, soudainement hébété, regarde bêtement sa toile blanche sans pouvoir esquisser un geste ; que je sois comme un musicien qui trouverait son instrument habituel tellement étrange que, tout à coup, il se demanderait à quoi il sert et à quoi ils servent, lui et son instrument.

Un billet pour rien, sur rien.

Rectangle noir

Et ce, sans chercher un quelconque bénéfice, sans espérer des louanges de lecteurs, sans se retrouver satisfait d’avoir mené à bien un projet insensé, sans vouloir viser une marche sur le podium. Rien, rien, table rase. Pour ça, il me faudrait éliminer un à un tous ceux qui m’ont apporté quelque chose, gommer leurs apports accrochés à mon âme, à ma chair, me débarrasser de tout ça, pour qu’il n’en reste rien. Rien de rien.

Oui écrire un billet sans qu’il soit pré-pensé et tout réfléchi, un billet qui parte de rien et qui arrive à rien. Devant ou derrière, pas d’arrière-pensées, pas de projet, pas la plus petite des intentions, pas une volonté de, pas une course à, pas non plus d’élan pour.

Nothing to say

Le fonds de la Vérité ne tournerait-il pas autour de ces questions : qu’est-ce qui m’a pris ? Qu’est-ce que je veux ? Pourquoi dire, écrire que je n’ai rien à dire ?

Le mieux serait donc que je laisse tomber, que je me persuade que, de cette épreuve du Rien, il n’y a rien à tirer. Sauf que, justement, il est impossible de ne rien retirer. Alors, coupons court : quitte à ce que ce billet échoue, il me faudra faire comme si de rien n’était. Je suis prêt à essuyer toutes les critiques, à traverser toutes les méchancetés. Aujourd’hui, la plus terrible est celle de passer pour un bon à rien. Mais qu’on me traite de bon à rien, je n’en ai rien mais rien à faire. Tout ça ne m’empêchera pas  – un rien fiérot – de rajouter au final du billet que… je suis prêt à tout.

Et même à crier haut et fort, à clamer encore et encore que rien de rien, je ne regrette rien.

6 Responses to Billet de rien, billet de vaurien.

  1. Je ne sais plus qui a dit : un homme qui part de zéro pour arriver à rien n’a de compte à rendre à personne !

  2. BiBi dit :

    @Cui Cui
    Pierre Dac, je crois.

  3. Robert Spire dit :

    Il y a cette phrase de Goethe « Je n’ai basé ma cause sur rien » qui sert de « base » au superbe « l’Unique et sa Propriété » de Max Stirner.
    Donc le rien est utile parfois pour « nettoyer » son Habitus.

  4. Un partageux dit :

    Rien. Même pas une mobylette cassée. Rien. La zone, quoi.

  5. Rem* dit :

    En fait, tout ça parle de tout et rien.
    Et çà c’est pas rien.
    C’est tout.

  6. BiBi dit :

    @RobertSpire
    Belle, tranchante ta phrase (que j’ai mise en ligne sur Twitter) : « Le Rien est utile parfois pour nettoyer son Habitus ». 🙂

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